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précédemment. On n’y ajoutait rien que la recommandation d’insister auprès de Moreau « sur le caractère de jour en jour plus odieux et plus atroce qu’a pris la tyrannie de Bonaparte, caractère qui ne peut plus laisser à un bon Français de doute sur ce que le bien de sa patrie exige de lui. »

Le jeune diplomate ne tarda pas à partir. Peu de jours après son arrivée à New-York, il put s’aboucher avec Moreau et lui faire part des offres dont il était porteur. Mais, dès les premières paroles, le général, tout en manifestant sa gratitude envers le Tsar, déclara qu’il ne lui convenait pas d’entrer au service d’un pays en guerre avec la France. Pahlen eut beau insister non sur les avantages matériels qu’on était disposé à lui assurer et dont il eut le bon goût de ne pas faire état, mais sur la gloire que lui vaudrait la part qu’il aurait prise à la délivrance de sa patrie, Moreau resta intraitable.

Ce n’est pas qu’il ne fût déjà las de son exil, dans un pays dont il n’apprenait que difficilement la langue, où il venait de voir mourir son fils et dont le climat ne convenait pas à la santé de sa femme ; mais, dans sa conscience, sa droiture naturelle et son patriotisme parlaient encore plus haut que son désir de se venger.

Comprenant qu’il n’aurait pas raison de sa résistance, fondée sur des motifs aussi honorables, Pahlen lui demanda alors de les développer dans une lettre qui serait remise au Tsar. Moreau y consentit, mais à la condition que l’original de cette lettre lui serait restitué après que Pahlen en aurait pris copie. Cette copie, en date du 23 juin 1807, est tout ce qui reste de la négociation qui se trouve révélée pour la première fois. La voici telle que Pahlen la rapporta en Europe où il débarqua le 21 décembre suivant et qu’il l’envoya de Londres au baron de Budberg, en lui rendant un compte sommaire de sa mission.

« Je n’aurais pas balancé à accepter les propositions généreuses de Sa Majesté Impériale de Russie, déclarait Moreau, si elles m’étaient parvenues avant la guerre qu’elle s’est trouvée forcée de faire au gouvernement français. Il me semble qu’il ne conviendrait ni à la dignité de sa couronne, ni à ma délicatesse, de prendre du service dans son armée pendant la guerre actuelle. On ne considérerait plus cela comme un droit qu’a tout habitant d’un pays qu’il est forcé de quitter, de chercher une nouvelle patrie où elle lui est offerte ; mais il serait facile