Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Se trouvant à Berlin, au mois de juillet 1805, il se serait ouvert de ce projet à l’ambassadeur de Russie auprès du roi de Prusse et lui aurait remis trois notes dont il reproduit le texte, à l’effet de démontrer les avantages que s’assurerait la Russie en confiant à l’illustre soldat, victime de Napoléon, le commandement d’une armée, Il va jusqu’à prétendre qu’en rédigeant ces notes, il s’était inspiré « des instructions qu’il avait reçues du général Moreau pendant son séjour au Temple, » et il le déclare formellement, en tête de la première, afin, sans nul doute, de frapper l’esprit de l’ambassadeur auquel il s’adressait. Mais son mensonge est éclatant, et c’est lui-même qui nous en fournit la preuve.

Quelques pages plus haut, en effet, il raconte que, pendant son séjour au Temple, la surveillance exercée sur les prisonniers était si rigoureuse qu’il n’a pu s’entretenir avec Moreau qu’une seule fois et pendant quelques minutes à peine ; il répète ce qu’ils se sont dit et il n’y apparaît rien qui ressemble à des instructions formulées par son interlocuteur en vue d’éventualités futures. On doit nécessairement en conclure que s’il a comme il l’affirme, exécuté le projet dont il parle, il est faux que ce projet lui ait été suggéré par Moreau dont les dispositions, révélées par ses lettres à sa femme, étaient alors bien différentes de celles que lui attribue Fauche-Borel.

Celui-ci est du reste contraint d’avouer que ses notes à l’ambassadeur russe restèrent sans résultat. « Leur vrai sens, écrit-il, échappa à l’empereur Alexandre. Les ministres se bornèrent à proposer à Moreau le grade de général dans les armées russes ; il le refusa. Ainsi que je l’avais annoncé, il ne voulait point servir sous les drapeaux étrangers, mais bien comme auxiliaire à la tête d’un corps français sous la protection des alliés. »

Pour la petite part de vérité que contiennent ces lignes, elles prouvent surtout que Fauche-Borel ignorait les véritables dispositions de Moreau.


II

L’idée d’employer Moreau contre Napoléon et de tirer parti du ressentiment qu’on devait lui supposer contre l’artisan de son malheur, était si naturelle, qu’on ne saurait s’étonner qu’elle ait