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de Cadix, le navire fut examiné par la flotte anglaise et qu’un peu plus loin, il rencontra la grande escadre de Nelson dont les officiers, en apprenant que Moreau était à bord du New-York, tinrent à honneur « de lui offrir des rafraîchissemens. » Le 25 août 1805, après cinquante-deux jours de route, il abordait à Philadelphie. « Il y reçoit la visite des corps constitués et de tout ce que la ville compte de considérable, malgré les agens français qui voulaient s’opposer à ce qu’on lui donnât aucune marque d’intérêt. » Dès le lendemain, il se mettait en quête d’une maison de campagne à louer, la trouvait à Morisville, État de Pensylvanie et s’y établissait le 1er septembre.

Toute sa conduite, à ces premières heures de son exil, témoigne d’une tranquillité d’âme qui ne laisserait pas d’étonner, si l’on ne savait que c’est son mérite de savoir se dominer quand sa dignité l’exige et si l’on ne se rappelait aussi qu’il est dans la nature humaine de trouver une jouissance profonde dans l’apaisement qui, le plus souvent, suit les dangers qu’on a courus et les agitations qu’ils ont provoquées. Si cruelle que fût sa destinée, il n’en souffrait pas à cette heure, comme il en avait souffert et comme il en devait souffrir plus tard. Le péril passé, il ne goûtait que le plaisir d’y avoir échappé. Une vie nouvelle s’offrait à son activité ; il y entrait avec l’espoir qu’elle effacerait de sa mémoire les souvenirs amers du passé qui venait de se clore et n’y laisserait que celui des actes éclatans auxquels il devait la renommée et la gloire.

Il ignorait d’ailleurs qu’en ce même moment, en Europe, on s’inquiétait de lui, et que les gouvernemens hostiles à l’empereur Napoléon se demandaient s’il ne conviendrait pas d’employer Moreau contre le conquérant, le dominateur, le despote, qu’ils considéraient comme l’ennemi commun, comme l’obstacle à la paix continentale.

Le fameux libraire Fauche-Borel, cette « mouche du coche » de l’émigration, dont nous avons relevé ailleurs[1]la niaiserie, les vantardises et les mensonges, raconte dans ses Mémoires, qu’étant sorti du Temple où il était détenu en même temps que Moreau, il avait conçu le projet d’utiliser, contre Napoléon et au profit des Bourbons, les talens militaires du général.

  1. Voyez mon livre : La Conjuration de Pichegru et, dans mon Histoire de l’Émigration, le récit de la prétendue négociation de Fauche-Borel avec Barras, par l’intermédiaire de David Monnier.