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Bien que le jour de son départ ne fût pas encore fixé, Moreau ne s’occupa plus que des préparatifs de son voyage. Il les dirigeait du fond de sa prison, tantôt en en parlant avec sa femme quand elle était admise à le voir, tantôt en lui envoyant ses instructions.

Il avait exigé qu’elle ne quittât Paris qu’après lui. Alors grosse de six mois, elle était tenue à des ménagemens incompatibles, avec les conditions dans lesquelles devait voyager son mari prisonnier, et d’autre part, le soin de régler leurs affaires, en vue d’une absence dont il était impossible de prévoir la durée, nécessitait plus de temps qu’on ne lui en laissait à lui-même. Comme il était averti que, l’Empereur désirant qu’il partît non d’un port de France, mais d’un port d’Espagne, on le conduirait jusqu’à la frontière, sur la route de Barcelone, il avait donné rendez-vous à Mme Moreau dans cette ville.

C’est en ces circonstances que, le 25 juin, Georges Cadoudal et ses complices, condamnés à mort, furent exécutés. Le même jour, à onze heures du soir, le général Savary, aide de camp de l’Empereur, se présentait au Temple, en compagnie du commandant Henry et invitait Moreau à se tenir prêt à partir à minuit pour l’Espagne. Le proscrit voyagerait jusqu’à la frontière sous la garde du commandant ; de Barcelone, il devrait se rendre sans retard à Cadix où il s’embarquerait sur le premier navire en partance pour l’Amérique.

Moreau s’étonnant qu’on ne lui accordât même pas le temps d’embrasser sa femme, Savary répliqua qu’elle le suivrait bientôt et qu’ils ne tarderaient pas à se réunir au terme de leur route. Le condamné se récria ; il déclara que, ne voulant pas laisser Mme Moreau faire seule un pénible voyage de mer, il attendrait à Barcelone qu’elle fût en état de partir. Savary se le tint pour dit et se retira après avoir renouvelé au prisonnier l’ordre d’être prêt à se mettre en route, à minuit.

La lettre que, durant cette soirée, Moreau écrit à sa femme le montre s’appliquant à dissimuler le véritable état de son âme, à cacher l’indignation que déchaîne en lui ce départ