Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Empereur, d’abord irrité de la modération des juges et de leur sentence, songe maintenant à lui faire remise de cette peine qu’au moment où elle était prononcée, il a jugée trop légère et à y substituer un décret d’exil, si Moreau veut signer son recours en grâce. On a même ajouté, qu’au prix d’une soumission éclatante et de regrets solennellement exprimés, le condamné pourrait être réintégré dans l’armée. Sans savoir si ces rumeurs méritent créance, il y répond :

« Le jugement qui me condamne à deux ans de prison est trop ridicule pour ne pas expliquer les motifs qui l’ont fait naître. Il fallait justifier le rapport du Grand Juge, les ordres de Murat[1], les dix mille adresses, la liste des brigands, etc. S’il y avait conspiration et s’il est constant que j’y avais pris part, je devais être condamné à mort comme le chef. Personne ne croira qu’il y ait eu de cause atténuante pour moi, qui m’ait fait condamner comme si j’y avais joué le rôle d’un caporal. Nul doute qu’il y avait ordre de me condamner à mort. La peur a empêché les juges de se prêter à cet acte d’atrocité. Alors, on a marchandé sur la punition, et les deux ans de détention ont paru suffisans au gouvernement pour se consolider pendant que je serais séquestré de la société et au Grand Juge pour justifier les rapports et les adresses. Les juges ont consenti à ce marché honteux.

« Je connais les inconvéniens de la détention. Mais on ne conserve jamais son honneur sans danger, et nul doute qu’une capitulation de ma part me le fait perdre sans retour. Si le gouvernement ne se trouve pas encore assez rassuré parce que je suis dans une prison d’Etat et veut ordonner un exil hors de France, je m’y soumettrai puisqu’il n’y a jamais déshonneur à obéir à la force. Mais je ne peux négocier sur ce point. Mon consentement en ferait une grâce et je n’en veux pas.

« Quant à reprendre mon grade dans l’armée, ni le gouvernement ni moi ne pouvons faire un tel arrangement. D’un côté, défiance continuelle ; de l’autre, mécontentement. C’est un gâchis que personne ne pourrait expliquer. Ainsi, si le gouvernement ne me trouve pas bien ici, qu’il prenne une mesure d’exil,

  1. Murat était gouverneur de Paris. En cette qualité, il avait signé les ordres, rendus publics, aux termes desquels, aux mois de février et de mars, les portes de Paris furent fermées et un régime de terreur imposé, durant plusieurs jours, à la capitale.