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Roi que l’Europe jouissait de la paix et que des bornes infranchissables étaient posées à la Révolution. Il insistait sur le fait que le Roi oubliait toutes les offenses et qu’il cherchait par tous les moyens à complaire à l’empereur Nicolas. Malheureusement la convention de Londres de 1840 avait prouvé l’inutilité de tous ses efforts. Kisselew objecta que c’était la France qui voulait se séparer des autres puissances et soulevait toute espèce de difficultés pour le règlement du conflit turco-égyptien. Mais Guizot déclara catégoriquement que tel n’avait pas été le cas et que le Roi restait courtois et attaché à la Russie, bien que les Russes haut placés, se trouvant à Paris, ne trouvassent pas nécessaire de se présenter à lui. Kisselew fit observer à cette occasion que les Russes ne pouvaient pas pardonner à la presse françaises ses sorties blessantes contre le Tsar et leur patrie : c’était la raison pour laquelle ils s’abstenaient de se faire présenter. « Personne n’honore plus que moi, » répliqua avec vivacité Guizot, « cette unité de sentiment et le patriotisme qui reporte tout dans votre pays au Souverain qui représente l’Etat et la nation, et avec la loyauté et l’élévation de cœur si connus de l’Empereur ? »

Après s’être livré à ces épanchemens intimes envers le représentant de la Russie, Guizot se montra très désireux de connaître l’impression qu’ils avaient produite sur le Cabinet impérial. Mais Kisselew n’ayant reçu aucune réponse de Saint-Pétersbourg ne put le renseigner à ce sujet. L’impatience du ministre français fut si vive qu’il dit à Kisselew que, si ces épanchemens n’avaient produit aucune impression, les relations entre les deux gouvernemens étaient appelées à devenir encore plus tendues qu’elles ne l’étaient auparavant.

Enfin, au commencement de mai, Kisselew reçut du comte Nesselrode une lettre particulière qui dut produire sur lui et sur Guizot l’effet d’une douche d’eau froide. Cette lettre du 20 avril/2 mai 1843 caractérise parfaitement les relations entre la Russie et la France. Le comte Nesselrode commence par y exprimer sa surprise de ce que Kisselew avait présenté à Guizot officiellement ses félicitations à l’occasion de ses succès parlementaires. Il supposait qu’il le ferait verbalement et comme « une politesse privée. » D’ailleurs, le vice-chancelier ne déplorait pas particulièrement cette bévue, car il avait provoqué ainsi de la part du ministre français l’exposition de « sa profession de foi. »