Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand t’approcheras-tu de moi, messagère de pitié dont un chant est la robe ? Depuis longtemps mon cœur solitaire écoute si tu viens. Mais voici qu’aujourd’hui je crois entendre à travers le bruit de la vie et des foules, la chute rythmique de ton pas. Ils sonnent clairs et légers au-dessus des vains bruits et des luttes sans règle, tes pas lointains, tes pas magiques, tes pas précieux. Ah ! détourne-toi de ton chemin, approche et parle-moi !…


Alors, la musique chante au poète une Ronde d’enfant, qui court devant une bande d’enfans rieurs, « comme une petite fille avec des cheveux qui volent, » une fanfare de chasse qui hâte la course du sang dans les veines, des airs de danse, une Berceuse apaisante, enfin une Symphonie. Voici le Chant du sommeil :


Oublie, oublie ! La marée de la vie se retire ; des vagues de lumière déclinent lentement vers l’Ouest. — Au bord de l’obscurité qui monte quelques astres brûlent, pour guider ton esprit vers l’île du repos. — Je te bercerai dans la profondeur calme de mon chant, j’apaiserai l’ardeur et l’élan de ton âme — Et par un peu de repos et un peu de sommeil — Tu oublieras.


Oublie, oublie ! Le jour fut chargé de plaisir, — Mais à présent ses échos meurent sur la colline. — Que les battemens de ton cœur s’accordent à leur lente mesure ! — Écoute : l’écho se balance, et s’affaisse, et faiblit, et s’éteint, puis tout est silence. — Alors, comme un enfant las qui aime à garder bien serré dans ses bras quelque trésor, — Ton âme avec la joie du jour s’abandonnera, endormie, — Et ainsi, tu oublieras.

Oublie, oublie ! Et si tu as pleuré — Laisse s’envoler les pensées qui te lient à la douleur ; — Retrouve la paix ; regarde les anges chantans qui moissonnent — la moisson d’or de ton chagrin, gerbe par gerbe. — Et toi, compte tes joies — Comme le berger compte le soir les agneaux blancs qui, un par un, passent lentement dans le champ tranquille. Ainsi tu oublieras.

Oublie, oublie ! — Tu es un enfant et tu sais si peu de chose de la vie ! — Mais la musique peut te révéler un des secrets du monde où tu vas — Travaillant avec le chant du matin et te reposant au son des cloches du soir : — La vie est une si profonde harmonie — Que, même quand les notes sont très graves et basses — Tu peux sans crainte dormir en paix : — Dieu n’oublie pas.


SYMPHONIE

O musique, comme ils te font injure, ceux qui disent que tu enchantes les sens seulement !

Car tout mouvement craintif du cœur ; et toute passion trop intense pour porter la chaîne des paroles impuissantes ; Et chaque désir tremblant, qu’affolent ces souffles venus on ne sait d’où et dont on ne sait où ils vont ; Et toute prière inarticulée qui bat de l’aile dans les abîmes de la peine et de l’espoir, comme un oiseau perdu qui cherche son nid et ne sait plus où il