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route qui vous semble la meilleure, sans que l’opinion bonne ou mauvaise d’autrui vous en détourne ou vous immobilise à un tournant glorieux ; se laisser guider par des préférences intérieures ; vivre enfin sa vie avec vérité et travailler dans le silence, cela exige partout des énergies peu communes. Plus encore peut-être en Amérique qu’ailleurs, ces énergies méritent la sympathie : l’atmosphère y est moins favorable au recueillement, et il semble que ce soit là-bas la loi de toute production d’être hâtive, aisément rémunératrice, et peu exigeante d’effort prolongé.

M. van Dyke se place aujourd’hui parmi les quatre ou cinq écrivains les plus célèbres des États-Unis. Le talent littéraire fut jadis chose rare dans ce pays ; épanoui soudain au milieu du dernier siècle en quelques hommes d’une si haute valeur qu’ils suffirent à créer une littérature nationale, il est maintenant multiplié, éparpillé même. Parmi tant de figures d’auteurs, celle de M. van Dyke est de beaucoup une des plus personnelles ; elle est expressive et fine ; et son œuvre, empreinte de cette noble sincérité que j’ai essayé de dire, mérite une attention un peu profonde, et l’attire par un don mystérieux et rare de sympathie.

Cette œuvre, en apparence diverse et décousue, est, à la bien comprendre, unie par un même élément vital qui est la poésie. C’est à cette source de beauté que s’alimentent son éloquence forte, ferme, élargie d’images ; ses nouvelles d’un charme original et prenant ; ses livres d’ « essais » qui sont d’une poésie si personnelle et si vivante que ceux qui en lisent certaines pages comme : les Petites Rivières, la Magie des Bois, les Trois sortes de bruyère ou les Goélands, sentent que leur vision de ces choses recevra désormais un peu de l’empreinte de sa vision. Or, pour connaître réellement un écrivain à travers son œuvre, c’est non aux pages de raisonnement, mais aux pages de poésie qu’il faut demander la clef secrète de sa personnalité ; et les traits de sa race se reconnaîtront à ce qui est chez lui impulsif et non acquis. La poésie, qu’elle vivifie la prose, qu’elle s’exprime dans les arts, ou qu’elle se taise, cachée dans les âmes de silence, la poésie est bien réellement le plus intime de nous-même. Mouvemens indistincts et confus de notre imagination et de notre sensibilité qui échappent au contrôle de la volonté ; intuitions que l’intelligence ne dirige pas ; avertisseurs fragiles de la conscience sur lesquels la conscience n’a point de prise,