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Donat, qui précédemment, en manuscrit, se payait 13 francs dans les écoles. Au XVIIe siècle, un tirage à 500 était très honorable, et cent ans plus tard, en Angleterre, Gibbon ne dépassait pas ce chiffre pour la première édition de son Histoire de la Décadence de l’Empire romain. « Je n’aime point, écrivait Jean-Jacques à Rey, que vous me disiez n’avoir tiré votre édition (de mes œuvres) qu’à 1000. Je n’ai jamais voulu vous interroger sur ces choses-là, sachant bien que vous n’accuseriez pas juste et ne voulant pas vous mettre dans le cas de m’en imposer. »

Il se peut que Rousseau ait raison, mais l’assertion de son éditeur n’avait rien d’invraisemblable. Voltaire n’écrit-il pas en 1733 : « A l’égard de Charles XII, Jorre peut en tirer 750 et m’en donner 250 pour ma peine. Le Siècle de Louis XIV fut tiré à 3 000 ; Voltaire en fît les frais, s’indemnisa en vendant 2 400 exemplaires au libraire et distribua les autres, La Henriade avait été tirée à 2 000 et les Commentaires sur Corneille à 2 500. Le grand tirage de Voltaire date de Louis XVI (1784), de l’édition de Kehl faite par Beaumarchais, qui passa pour y avoir mangé un million.

On rajeunissait beaucoup de livres invendus au moyen d’un nouveau titre et d’un nouveau millésime ; ces innocentes ruses n’ont rien de moderne, mais les tirages ont changé depuis le commencement du XIXe siècle. Sur la quatrième édition d’un volume de Victor Hugo, qui date de la jeunesse du grand poète et contient ses premiers vers, on est surpris de lire cette note manuscrite de Ladvocat, l’éditeur de l’époque : « Tirage à 400, divisé en quatre éditions de cent exemplaires. »

Sous Louis XIV, le Mercure de France tirait à 7 000, et c’était le journal le plus répandu de l’Europe. Peu avant la Révolution, quand le libraire Pankoucke fonda le Journal de politique et de littérature, il offrit à Linguet 20 000 francs par an pour se charger de la rédaction et lui promit en outre une prime de 2 000 francs par 1 000 abonnés au-dessus de 6 000.

Mais ce périodique, d’après les calculs de Linguet, ne dépassa jamais 5 500 abonnés. Sous le premier Empire, le Moniteur, grâce à ses privilèges et à sa situation exceptionnelle obtint 15000 abonnés ; sous l’ancien régime, aucune affaire de librairie ne put se comparer avec la publication de l’Almanach royal, qui rapportait, paraît-il, à son éditeur Lebreton 65 000 francs de rente.