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qu’il me donne du pain pendant le peu de temps qu’il me reste à vivre, puisque je suis désormais hors d’état d’en gagner. » De fait il n’en tira guère plus de 7 000 francs. L’impression commencée, l’argent vient lentement, par acomptes successifs ; Jean-Jacques s’en plaint avec amertume.

L’envoi des épreuves par la poste est très onéreux ; Rousseau a payé 12 fr. 50 pour cinq feuilles d’Amsterdam à Paris : « Les ports vont absorber et au-delà tout l’honoraire que vous m’avez donné ; s’il vous était possible d’entrer dans cette dépense, non par de l’argent, mais par des exemplaires, j’essaierais quelque arrangement avec messieurs des postes pour modérer le port des paquets et rendre cette voie praticable. Si M. de Malesherbes avait ses ports francs, ne pourriez-vous sans indiscrétion lui adresser les épreuves ? »

La plus parfaite anarchie régnait d’ailleurs en matière de propriété littéraire. Il est à peu près impossible de savoir si, en droit, le prix payé à l’auteur par le libraire lui conférait la possession définitive de l’ouvrage ou seulement celle de la première édition ? Les deux opinions avaient également cours, et lors même que le droit serait positivement établi, cela n’aurait en fait aucune importance, puisque le chiffre du tirage était le plus souvent inconnu de l’auteur et que l’éditeur en usait à sa guise : « Quoiqu’en livrant un manuscrit à un libraire, écrit Rousseau à Marc-Michel Rey, je ne prétende pas m’ôter le droit après la première édition de le réimprimer de mon côté toutes les fois qu’il me conviendra, vous pouvez être sûr que je n’en userai jamais avec vous. »

D’un autre côté, il reproche à Duchesne de faire une édition de l’Émile à Lyon, et une autre à Londres, en même temps que celle de Paris : « Non pas que cela me regarde, mais un auteur a le droit, ce me semble, que son libraire ne le fasse imprimer nulle part à son insu… » Une autrefois, Duchesne ayant fait une édition générale de ses œuvres sans l’en prévenir, « il me semblait au moins, observe Jean-Jacques, qu’étant en relations avec l’auteur, vous auriez dû lui en parler. »

Pour les réimpressions de ses livres publiées de son vivant, Rousseau obtint 2 700 francs de son éditeur parisien et 2 970 francs de son libraire d’Amsterdam ; encore fut-ce avec peine, en faisant valoir qu’il y aurait des additions : « Vous avez raison de ne vouloir pas payer deux fois les mêmes ouvrages, mais moi,