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gagne-pain aux comédiens. Telles sont les conventions des poètes mercenaires ! » Si Corneille, traité de poète mercenaire par Chapelain, suspendait ainsi l’impression d’Horace, c’est qu’une fois la pièce publiée elle tombait dans le domaine public. Il demanda, « pour ne pas être frustré des fruits de son travail, » que le droit de représenter Cinna, Polyeucte et la Mort de Pompée fût réservé aux comédiens du Marais. Ce « privilège » lui fut refusé ; il n’en passa pas moins pour un accapareur : « pourvu qu’il tire de ses pièces bien de l’argent, dit Tallemant, il ne se tourmente guère du reste. »

Molière seul envers Corneille se montra grand seigneur. Il donna 6 500 francs d’Attila et autant de Tite et Bérénice ; ce furent les plus beaux droits que l’on eût payés encore (1667). Les auteurs ordinaires, Gilbert pour la Vraie et la fausse précieuse, Boyer pour Tonnaxare, touchaient 1 800 francs. Les comédiens, dix ans plus tard, donnèrent à Thomas Corneille, pour avoir mis en vers le Festin de Pierre, 7 600 francs à partager entre lui et « Mademoiselle Molière, » veuve de l’an leur. Mais Thomas faisait plus d’argent à la scène que son frère Pierre.

Les chefs-d’œuvre de l’aîné ne lui avaient pas valu autant que sa traduction de l’Imitation réimprimée trente-deux fois de son vivant ; ce qui ne veut pas dire que le profit de ce livre eût été bien gros. Le nombre des éditions, en le tenant pour exact, — les supercheries en ce genre étaient usitées dès le XVIIe siècle, — ne nous renseigne pas sur le chiffre des tirages, alors très minimes.

Quant aux pensions et cadeaux, Corneille lit de son mieux pour en obtenir : il dédia Cinna à ce faquin de Montauron, partisan véreux à qui, dit-il, « il trouve quelque chose de particulièrement commun avec Auguste. » Ce gros encens lui valut 9 000 francs. Largesse sans lendemain ; Louis XIII, songeant à ce qu’il faudrait donner, refusa la dédicace de Polyeucte ; le prince de Condé accepta celle de Rodogune, mais ne finança pas un sol. Pour Fouquet et Séguier, les dédicaces furent un remerciement de pensions demeurées fort intermittentes : 6 900 francs sous Richelieu, disparus à la mort du cardinal ; 4 500 francs octroyés, puis supprimés au bout de quelques années, par Mazarin. Fou-quel les rétablit en 1658 : « Monsieur le surintendant, écrit Corneille, m’a témoigné assez de bonté pour me faire espérer qu’il ne dédaignera pas de prendre quelque soin de moi. »