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l’art du théâtre, qui sait chatouiller au bon endroit pour faire pleurer ou rire et qui ne sait pas autre chose, comme il n’y avait dans ses pièces que « du théâtre, » elles ne tiendront ni à la lecture, ni au répertoire, bien qu’elles aient fait, dans leur primeur, autant ou plus d’argent que des chefs-d’œuvre.

Les genres littéraires, sur l’échelle des profits, se classent donc aujourd’hui suivant qu’ils peuvent tirer plus ou moins du public : le roman le plus répandu ne rapportera pas le quart de la pièce de théâtre la plus représentée ; le livre d’histoire le plus réimprimé ne fera pas gagner le tiers du roman ; les vers les plus achalandés n’ont pas rendu la moitié du livre d’histoire ; quant aux ouvrages de philosophie, d’érudition ou de science pure, ceux dont l’usage n’est pas obligatoire pour une clientèle scolaire vaudront aux plus illustres auteurs quelques poignées de louis, s’ils n’ont pas la main trop grande.

La hiérarchie était tout autre aux XVIe et XVIIe siècles : les philosophes, les humanistes, les chroniqueurs obtinrent des rentes assez fructueuses ; les mieux traités furent les poètes et les savans. Avec des vers, on obtenait couramment pensions, abbayes, évêchés même ; témoin Bertaut et Godeau, tous deux « établis avec des mitres, » comme dit Sarasin, pasteurs des diocèses de Seez et de Grasse qu’ils fréquentaient peu. Mellin de Saint-Gelais, à qui l’on attribue l’introduction en France du madrigal, était en même temps abbé de Reclus, aumônier du Dauphin et bibliothécaire de Fontainebleau. Quant à Ronsard, il jouissait, outre ses pensions, d’une cure, de deux abbayes et de plusieurs prieurés. Elisabeth d’Angleterre lui envoyait des diamans, et Marie Stuart un buffet d’argent de 45 000 francs. Il possédait des faucons, une meute, et vivait en seigneur.

Dorat, Budé, Baïf n’étaient pas moins bien traités ; Desportes avait, en bénéfices, 50 000 francs de rentes ; tandis que Rabelais n’obtint la cure de Meudon que six ans avant sa mort, n’ayant auparavant que son canonicat à l’abbaye de Saint-Maur et une petite cure du diocèse du Mans, qui ne valaient pas en tout 3 000 francs de revenu. Argent de poche, il est vrai, puisqu’il vivait souvent, défrayé de tout, chez le cardinal du Bellay.

Quant à ses livres, après avoir publié des Aphorismes et traités d’Hippocrate et Galien qui ne firent pas leurs frais, Rabelais donna à l’éditeur, pour le dédommager de sa perte, la première version de Gargantua. Mais, quoiqu’il « ait été plus