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alternativement de différons symboles et en prenant des attitudes diverses ? À ce compte, religion et science, vérifiées, chacune à sa manière, d’heure en heure, d’individu en individu, seraient coéternelles. »

Avec une signification à peine différente et en rappelant un peu davantage la preuve composite de Pascal, Vinet compare la foi à un trésor fermé par plusieurs serrures, qu’on ne saurait ouvrir avec une seule clef. Pour ouvrir le trésor de la foi comme pour ouvrir les trésors de l’univers, — à savoir, le Dieu caché, la destinée de l’âme, l’autre monde, — il faut une clef mystique, que Pascal appelait le cœur. Parmi les synonymes de ce mot, Vinet paraît préférer conscience, pendant que M. Boutroux qualifie raison encore, raison supérieure, ce que M. Victor Giraud se plaît à nommer charité, volonté aimante, instinct, sentiment, nature[1].

Il ne faut pas avoir peur des mots. Le sentiment religieux moderne devra continuer sans honte de s’avouer mystique, s’il ne veut pas se réduire à la religion naturelle, au théisme rationaliste, que Pascal méprisait si profondément, et dont tous les chrétiens à sa suite se défendent comme d’une pauvreté. Cependant le mysticisme nouveau ne se confond point avec l’ancien ; il s’en sépare profondément par une différence essentielle : c’est qu’il ne se réjouit plus de croire à l’absurde. Les sciences et la philosophie en marche l’ont fait avancer avec elles. Il ne prétend pas opposer la résistance d’une immuable borne aux progrès incessans de la physique, de la critique rationnelle, de l’histoire, des doctrines morales, de la sociologie. En préconisant un autre organe de la vérité que la raison, jamais il ne consentira, comme celui de jadis, à crever les yeux de la raison pour y voir plus clair. Il n’a rien d’anormal ni de paradoxal. Il s’autorise de la psychologie avec une assurance tranquille. Il a découvert, sous la conscience, une « subconscience, » qui, elle aussi, est une réalité de la nature, et les phénomènes du monde « subliminal » sont pour lui un objet de science comme tous les autres. Le point capital de la nouvelle doctrine mystique, dans l’ordre religieux et chrétien, c’est la distinction entre les croyances et la foi, — la foi, principe d’action, disposition morale et religieuse, don du cœur à Dieu, confiance du chrétien qui sent

  1. Victor Giraud, La philosophie religieuse de Pascal et la pensée contemporaine, Paris, Bloud, 1903.