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la nature[1]. » Au temps de Pascal, on n’avait qu’une érudition historique très insuffisante dans le sacré comme dans le profane, et Pascal en savait aussi peu qu’homme de son temps. Au XIXe siècle, la foi a perdu ce que gagnait la connaissance du passé dans l’un et dans l’autre domaine.

Le troisième agent, mais non le moindre, de la dissolution de la foi, ce sont les sciences physiques et naturelles. Un oubli invétéré et persistant de la carte du ciel peut seul laisser subsister dans nos imaginations, malgré Copernic, Galilée et leurs successeurs, des légendes et des espérances qui n’ont pu naître qu’à la faveur d’une ignorance naïve. La fixité des lois de la nature a beau être remise de nos jours à l’étude et faire place à l’hypothèse d’une certaine contingence, le doute à cet égard ne va pas jusqu’à réédifier, contre l’ordre de la nature, le surnaturel violent, le prodige matériel, sur lequel tout le système de l’ancien christianisme est fondé et construit.

Devant cette triple difficulté de croire, il faudrait trembler pour la durée sans terme promise au sentiment religieux, s’il n’y avait pas en lui une force invincible dont la source est ailleurs. Ce serait avoir une pauvre idée de sa valeur, de sa place dans la vie, de son rôle dans la pensée et la conduite de l’homme, que de le faire dépendre d’une vérification matérielle ou de la rigueur d’un raisonnement. Contre les assauts des sciences naturelles, de la critique et de l’histoire, le sentiment religieux a le droit de vouloir vivre et de réclamer hautement deux choses : d’abord, qu’on reconnaisse l’importance et l’utilité qu’il a en lui-même ; ensuite, qu’on ne nie point la réalité de son objet pour ce seul et unique motif qu’il n’est pas la raison raisonnante et qu’il a peut-être à son service un autre instrument de connaissance.

La première de ces deux vérités est facile à établir. Si l’on demandait aux hommes leur avis, il est probable que, même parmi ceux qui sont sans religion, mais qui sont de bonne foi, on trouverait toujours une grande majorité pour reconnaître que le sentiment religieux possède un pouvoir incomparable comme lien et comme frein de la société. Les âmes individuelles lui doivent leur cohésion et leur tenue connue le corps social, lors même qu’elles se vantent d’avoir cessé de croire, car

  1. Paul Bourget, article sur M. Ernest Renan, dans les Essais de psychologie contemporaine, p. 84.