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radicalement distinct de la connaissance : dès lors la science et la foi habitant des domaines séparés, il n’y a plus lieu à des rencontres hostiles entre ces deux puissances. Brunetière pensait que la religion chrétienne devait beaucoup moins à Chateaubriand qu’à l’auteur de la Profession de foi du vicaire savoyard « ce qu’elle avait paru regagner de terrain au commencement du XIXe siècle[1]. »


Je n’ai garde d’empiéter sur la grande étude dont il faut souhaiter de voir M. Strowski achever ou continuer au moins l’entreprise ; mon dessein n’est pas de tenter même l’esquisse superficielle et sommaire d’une histoire générale du sentiment religieux en France : je désire simplement, sans sortir et sans m’écarter de mon sujet, — qui est le seul Pascal, — indiquer ce que peut encore valoir, contre le progrès de l’incrédulité religieuse, l’idée fondamentale de son apologie.

Trois grandes forces ont battu en brèche le christianisme au siècle dernier. D’abord, la critique rationnelle, capable de tout détruire, incapable de rien fonder. Bourdaloue, qui définissait la foi « un acquiescement raisonnable, » avait prétendu qu’on doit « raisonner jusqu’à un certain point et non au-delà. » Mais cette retenue est impossible ; Vinet, qui pourtant voudrait bien arrêter la raison, est obligé de le reconnaître quand il avoue que, « ou il ne faut pas examiner un seul instant, ou bien il faut examiner toujours[2]. »

Cependant la raison n’est peut-être pas l’agent qui porte aux croyances l’atteinte la plus redoutable ; ce terrible instrument de mort, c’est l’histoire. Quoi de plus propre à faire tomber la crainte, le respect et l’amour, sources intérieures des phénomènes religieux, que d’envisager ces sentimens de sang-froid comme des faits objectifs, comme une matière instructive offerte à la curiosité intelligente du psychologue et de l’historien ? Qui a compris cesse d’adorer. « Aucune réfutation d’une erreur n’entraîne avec elle l’évidence parfaite, si elle ne se double d’une explication lucide de la genèse de cette erreur… Les sciences historiques, appliquées aux sources de la tradition religieuse, rangent cette tradition au nombre des phénomènes de

  1. Brunetière, Études critiques sur l’histoire de la littérature française, t. V, p. 113. — Boutroux, Science et religion dans la philosophie contemporaine, p. 28.
  2. Études sur Pascal, p. 139.