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l’avenir, peut-être assez rapproché, où il n’y aura plus d’Empire de ce nom ; car ce sera une nouvelle ère qui commencera, fort difficile à traverser, si l’on n’y met pas de bonne foi de part, et d’autre ; je réponds pour moi, car je ne me mettrai jamais en contradiction avec ma conscience ; puissent les autres en dire autant ! Ce cas fort malheureux étant donc devenu une des possibilités du moment et même fort probable, il faut penser à l’avenir de la manière la plus sérieuse, la plus profonde et échanger nos opinions, quand nous nous reverrons. Il ne s’agira de rien moins que de poser la question ainsi : si la Turquie meurt, que mettre à sa place ? Veut-on d’un État chrétien indépendant, ou veut-on d’un partage à l’amiable, sans en exclure la France ? J’opine pour ce dernier cas, et il me paraît que l’héritage du défunt sera assez grand pour satisfaire tous ; en laissant Constantinople à tous, c’est-à-dire à personne. La garde du Bosphore à nous, celle des Dardanelles à l’Angleterre et à l’Autriche. Voilà, écrivait en finissant Nicolas, où en sont mes idées, — n’allez pas en conclure que je le désire ; mais au contraire que je prie Dieu de nous préserver de ce nouveau malheur, étant pour cela résolu à ne pas me laisser prendre au dépourvu si la chose devient nécessaire. »

Cette pensée de la fin prochaine de l’Empire Ottoman ne cessait de poursuivre l’empereur Nicolas et, en y réfléchissant, il énonçait toujours la profonde conviction que ce n’était que dans le conseil des grandes puissances, et par leurs efforts réunis, que cette catastrophe pouvait être restreinte à des limites supportables pour tous.

Désirant aussi agir loyalement à l’égard de la France, l’empereur Nicolas Ier crut devoir renouveler la question : ne faut-il pas lui déclarer franchement qu’elle est appelée à marcher seule contre tous dans la question d’Egypte ? « Il faut persister dans la marche suivie jusqu’ici, » écrivit l’Empereur sur le rapport du comte Nesselrode du 1er août 1840, « payer de la plus parfaite indifférence les invectives et les rodomontades françaises et ne rien faire pour les provoquer. J’ai reçu hier une lettre du roi de Prusse qui heureusement parle exactement de même. Il va voir Metternich et me demande s’il ne serait pas bien de déclarer à la France que si elle s’avisait de bouger pour attaquer l’un de nous, nous nous considérerions comme attaqués tous ; je ne demande pas mieux, si l’Autriche et l’Angleterre le désirent ; car