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philosophiques ; » — mais seulement pour la forme, car il reprend son thème et il continue à louer, « avec la permission » de M. de Saci, « l’art incomparable » d’Epictète et de Montaigne pour faire penser, douter, réfléchir. Quel paradoxe devait être pour les logiciens de Port-Royal ce défi au bon sens, que le déiste est aussi loin de Dieu que l’athée ! Mais c’est surtout quand Pascal exposa à ses amis le plan de l’apologie qu’il méditait d’écrire, que ceux-ci durent le regarder avec un étonnement profond où le malaise que la nouveauté cause toujours, le mécompte d’une attente déconcertée, se mêlaient à l’émerveillement.

En bonne logique janséniste, il ne fallait pas démontrer du tout les vérités de la religion. A quoi bon l’apologétique, si on peut avoir la foi sans elle et si elle ne peut pas donner la foi[1] ? A quoi bon, surtout, ce hors-d’œuvre dans le système qui exagère au dernier point la passivité de l’homme et l’action de la grâce ?


Vouloir faire comprendre la vérité aux âmes qui ne sont pas encore mûres, disait la mère Angélique, c’est vouloir faire luire le soleil à une heure indue au milieu de la nuit. Tous les princes et tous les plus puissans rois de la terre joints ensemble n’ont pas le pouvoir de faire lever le soleil une heure plus matin qu’il ne doit ; et tous les hommes ensemble, avec toute l’éloquence et toutes les persuasions qu’on se peut imaginer, ne sauraient faire voir la vérité à une personne qui n’est pas encore éclairée de Dieu[2].


Pascal avait été instruit de cette vérité, et il n’en doutait pas ; mais on a quelquefois lieu de se féliciter que les hommes suivent les impulsions de leur humeur plutôt que tes déductions de la logique, puisque l’heureuse inconséquence du grand penseur devait donner à la littérature un chef-d’œuvre.


Ce ne serait pas la peine d’écrire un livre sur Pascal si on n’avait pas une ingénieuse hypothèse à nous offrir, — soit dans sa fraîche et intègre nouveauté, soit dans le rajeunissement de quelque partie revue et refaite, — sur le bel édifice interrompu. M. Strowski n’a point failli au devoir de nous présenter sa théorie. Elle est extrêmement intéressante.

Il y a selon lui et selon tous les commentateurs, deux choses à distinguer d’abord dans cette grande ébauche inachevée : une

  1. Scherer, Études sur la littérature contemporaine, t. IX, p. 191.
  2. Cité par Victor Cousin, Jacqueline Pascal, p. 230.