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style surabonde en fleurs et en images écloses de cette contemplation. Avant lui, les apologistes du christianisme posaient les fondemens de la foi dans la raison d’abord : ils prouvaient Dieu par la métaphysique, par les causes finales, par le consentement universel ; ils recommenceront plus tard cette dialectique vaine, sans comprendre (ce que Pascal verra clairement) qu’il y a plus d’obscurité que de lumière dans les preuves métaphysiques et que l’argument des causes finales est la faiblesse même ; sans songer que l’appel au sens commun est une méthode anti-chrétienne, puisque le christianisme orthodoxe « fait, de la vérité, le secret du petit nombre, et, pour tous les autres, une folie[1]. » Avec une profonde clairvoyance, l’évêque de Genève s’est refusé à faire de la religion naturelle une première étape vers la foi, parce qu’on va droit ainsi à la morale naturelle, conclusion du siècle précédent et ruine du sentiment religieux, qui meurt, quand il devient, comme le voulait Charron, un simple « complément, » et quand il perd son trône et sa couronne.

François de Sales n’était pas stoïcien, mais chrétien : ce qui veut dire qu’il espérait en la grâce divine, non en l’humaine vertu, pour la conversion du pécheur. Il était donc janséniste avant la lettre avec modération, et il gardait ce qu’a de bon saint Augustin, que Jansénius allait outrer. En même temps, c’était un bon jésuite : car il y eut de bons jésuites ; il y a même un bon jésuitisme, et c’est ce que les Provinciales nous font trop oublier ou méconnaître. Le pensée très juste de Molina était que, si la religion a été donnée aux hommes pour les sauver, il faut la rendre hospitalière au monde ; il estimait avec beaucoup de raison que le christianisme n’aura pas de quoi être lier et chanter victoire le jour où le nombre des élus sera réduit aux sept mille prédestinés qui « n’ont pas fléchi le genou devant Baal » et que l’auteur des Pensées recompte d’après l’Écriture[2]. A force de faire du salut un don spécial réservé aux rares privilégiés de la grâce, bientôt il n’y a plus d’Eglise ; tous les chrétiens de nom méritent que Saint-Cyran les traite de « pélagiens, de païens ou d’hérétiques ; » et les élus, séparés du monde, ne sont plus « le sel de la terre. » Ils foudroient les libertins : exploit beaucoup moins utile que de les persuader et de ménager habilement leur retour à la religion. Réconcilier la raison, la nature, la science

  1. Vinet, Études sur Pascal, p. 243.
  2. Article XXV, § 106, de l’édition Havet.