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théorique qui peut subsister entre la foi chrétienne et le sentiment religieux, et M. Strowski pouvait négliger sans grand inconvénient cette définition préalable.

Religieux ou spécifiquement chrétien, est-ce, en définitive, à un sentiment que l’ancien christianisme positif est destiné à se réduire pour continuer à vivre ? Tout l’intérêt pratique de l’étude que notre auteur a entreprise, et qu’il poursuit, est là.


I

Le sentiment religieux languissait en France à la fin du XVIe siècle. L’ardeur mystique, d’où la Réforme était sortie, avait suscité, par contagion ou par opposition, une ardeur égale dans les âmes catholiques ; mais des deux côtés le zèle s’étant enflammé jusqu’à la fureur, la guerre civile et tous les fléaux ayant fait rage, le pays était las, avide de repos ; il aspirait à voir régner la paix et ce qu’on entendait alors par tolérance, à savoir, la tranquille souveraineté d’un maître assez fort pour rendre inutiles les violences injustes du pouvoir et follement impossible toute velléité de sédition.

On s’était rallié au catholicisme, non par une véritable préférence religieuse, mais parce que c’était la religion de l’Etat et que l’ordre y trouvait plus de garanties, Des magistrats qui n’aimaient guère le Pape, ou qui même avaient des sympathies pour la Réforme, Paul de Foix, le président de Thou, Montaigne, Du Vair, furent de ces catholiques d’État. Ils allaient à la messe par la même raison que le doyen de la Sorbonne, Victor Le Clerc, qui disait un jour au cardinal Lavigerie : « Je vais à la messe parce que Cicéron me le prescrit dans son traité Des lois. » Ronsard, poète de cour, a fort malmené les protestans. Croit-on que dans ses invectives il y ait un sentiment, une idée de l’ordre proprement religieux ? Nul atome. Il n’aime guère le catholicisme, mais il hait la Réforme, qui heurte son loyalisme monarchique, son respect pour l’autorité. « Morte est l’autorité ! » Voilà tout le grief.

Sainte-Beuve avait écrit dans son Port-Royal[1] : « On a fait un livre intitulé le Christianisme de Montaigne, comme on

  1. Tome II, p. 428.