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coup de violence dans cette accusation ; mais peut-être, à Londres, accuse-t-on le gouvernement autrichien de s’être proposé, non seulement d’enterrer la Conférence après l’avoir rendue inutile, mais même d’avoir voulu se passer, sous quelque forme que ce soit, du consentement européen à l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie : celui de la Porte aurait suffi. La fatalité des choses, aggravée par la maladresse des hommes, — qui a été grande, — semble s’appliquer à mettre en opposition les deux groupemens européens que tout le monde connaît : nous n’avons pas besoin de dire combien cela est fâcheux, et quelles conséquences plus fâcheuses encore pourraient en résulter, si on n’y veillait avec une attention toujours prudente. M. Isvolski, après avoir promené à travers l’Europe une négociation ambulante qui avait le défaut de ne pouvoir pas être poursuivie en même temps sur tous les points essentiels, s’est enfin rendu à Berlin. Il était temps, car Berlin commençait à se sentir un peu négligé, et on sait de reste qu’il n’aime pas à rester sous cette impression. Nous ignorons encore à quel résultat ont abouti les conversations du ministre russe avec M. de Bülow et M. de Schœn. L’Allemagne, en dehors des intérêts particuliers qu’elle a en Orient, est aux prises avec un problème délicat : elle doit complaire à la fois à l’Autriche, son alliée, et à la Porte, sa grande amie, qu’elle a affecté, dans ces dernières années, de prendre sous son aile puissante. L’empereur Guillaume aimait à se donner partout comme le protecteur de l’Islam : il y trouvait d’ailleurs son profit. Mais ces deux attitudes sont difficiles à concilier depuis que l’Autriche a dépouillé la Porte et que, entre les deux pays, s’est posée une question presque insoluble. Nous saurons sans doute bientôt si la Russie et l’Allemagne se sont entendues, et comment, dans les conversations de M. Isvolski et de M. de Schœn. Que sortira-t-il de ces conversations ? Une complication de plus, ou un dénouement ? Peut-être, à tout prendre, n’en - sortira-t-il rien du tout, s’il est vrai, comme le dit la Gazette de Francfort, qu’en ce qui concerne la Conférence, l’Allemagne est décidée à faire ce qui plaira à l’Autriche, et, en ce qui concerne les « compensations, » ce qui conviendra à la Turquie.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.