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tenu la promesse de son titre, qui ne s’est pas conformé aux nécessités de son sujet, qui s’est dérobé à la logique de l’idée qu’il a lui-même mise en avant.

Le fait est qu’entre une étude du monde juif et l’intrigue qui se déroule à travers les trois actes d’Israël il n’y a aucun lien nécessaire et pour ainsi dire aucun rapport. Les mêmes incidens se passeraient aussi bien, et sans aucune différence appréciable, dans tout autre milieu. Voici, en effet le drame, réduit à son squelette. Épris, comme il l’est, des situations exceptionnelles et violentes, M. Bernstein nous en propose une qui est, à souhait, atroce et inextricable : un homme en a publiquement insulté un autre ; un duel s’impose ; or l’insulteur découvre qu’il est le fils de l’insulté. Que faire ? Des excuses ? Ce serait le meilleur moyen d’éveiller la méfiance du monde et de mettre les indiscrets sur le chemin de la vérité, c’est-à-dire de publier la faute d’une mère et le déshonneur d’une famille. Nulle issue, hormis celle du suicide, qui est comme on sait le coup de désespoir des auteurs aux abois. Dans la pièce de M. Bernstein, l’insulteur est le jeune prince Thibault de Clare, catholique ultra ; l’insulté est un banquier juif qui répond au nom de Guttlieb. Mais supposons les deux adversaires appartenant à la même race, professant la même religion : la querelle ne peut-elle avoir été provoquée par un antagonisme politique, par une discussion d’intérêt, par une rivalité quelconque ? Ne peut-elle avoir éclaté à une table de jeu ? N’avons-nous pas vu tout à l’heure, dans la pièce de M. Bourget, deux officiers de mêmes croyances prêts à en venir aux mains ? Changez la classe sociale, le pays, l’époque même, toute la pièce subsiste : le supplice de la mère, les angoisses du fils, son horreur à mesure qu’il soupçonne et qu’il découvre la vérité, le désespoir qui le conduit à la mort volontaire. Il n’y manque que les tirades sur les Juifs ; concluons donc qu’elles sont surajoutées et plaquées.

Comme il s’est dispensé de rattacher l’action de son drame au cadre où elle évolue mais dont elle reste indépendante, M. Bernstein, pour poser ses personnages, s’est contenté d’indications sommaires. C’est pourquoi nous n’arrivons à nous intéresser à aucun d’entre eux. Ils sont tous également déplaisans, mais ils sont surtout inconsistans. Leur caractère nous échappe, à supposer qu’ils en aient un, et leur conduite nous reste inintelligible. Ce jeune prince de Clare, on nous le donne pour l’espoir du parti : il est éloquent, il est brave ; et tout ce qu’il trouve à faire pour servir la cause catholique, c’est de renverser d’un revers de canne le chapeau d’un de ses compagnons de