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cercle lentement agrandi, dont, auparavant, il n’aurait rien su et dont il ne saurait, après, rien que ce qu’il a vu et ce qu’il a touché. Les faits étant par lui saisis sur le vif, pourvu qu’il ait, comme il le devait, gardé en face d’eux « la position d’indifférence du naturaliste qui observe, » ce n’est pas sa faute s’ils s’arrangent ainsi, s’ils vont dans cette direction plutôt que dans cette autre, si, par exemple, ils nous conduisent par la conjonction des deux révolutions, l’une économique, l’autre politique, et sous l’action convergente des deux forces qu’on a appelées le Travail et le Nombre, à un interventionnisme de plus en plus entreprenant, dans un État de plus en plus développé. Constater qu’il en est ainsi, ce n’est pas trouver bon, ce n’est pas désirer qu’il en soit ainsi : c’est simplement le voir et le dire. Au bout de quoi, la plus aventureuse déduction que l’on ait risquée a été d’avancer que, tant que les choses seraient ainsi, tant qu’il serait mû par le Nombre et orienté vers le Travail, il paraissait impossible (en fait, rien qu’en fait) que l’Etat se comportât autrement. Mais cette déduction même, quelque prudente qu’elle fût, où prenait-on le droit de la risquer ? Dans l’examen scrupuleux, rigoureux, de ce qui est et de ce qui a été ; dans l’étude des faits, ou dans celle des idées et des lois, elles-mêmes tenues pour ce qu’elles sont et traitées comme telles, comme des faits sociaux très importans.

N’était la juste crainte de commettre une impertinence, on reproduirait volontiers à cette place, en l’appliquant à la future constitution sociale de ce pays, à sa future « organisation du travail, » la page si ferme où Taine expose son dessein, et qui est une des meilleures de sa forte préface aux Origines de la France contemporaine : « Il s’agit de la découvrir (la constitution nouvelle, appropriée, durable), de la découvrir, si elle existe, et non de la mettre aux voix. A cet égard, nos préférences seraient vaines ; d’avance, la nature et l’histoire ont choisi pour nous ; c’est à nous de nous accommoder à elles, car il est sûr qu’elles ne s’accommoderont pas à nous. La forme sociale et politique dans laquelle un peuple peut entrer et rester n’est pas livrée à son arbitraire, mais déterminée par son caractère et son passé… C’est pourquoi, si nous parvenons à trouver la nôtre, ce ne sera qu’en nous étudiant nous-mêmes, et plus nous saurons précisément ce que nous sommes, plus nous démêlerons sûrement ce qui nous convient. On doit donc renverser les méthodes