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Cette plaisanterie rabelaisienne, jointe à un cadeau persuasif, aurait suffi, paraît-il, à assoupir toute surveillance, jusqu’au moment où l’iradé obligatoire autorisa enfin les constructions.

Mais qu’on ne s’imagine pas que tout est terminé avec l’acquisition de cet iradé ! Une foule de chicanes sont ordinairement suscitées par des fonctionnaires locaux, désireux de remédier à l’insuffisance ou à l’absence totale de leur paie. Tous les prétextes leur sont bons pour vous soutirer de l’argent. Tantôt les bâtisses ne sont pas exactement conformes aux plans déposés dans les bureaux de l’administration. D’autres fois, on s’aperçoit un peu tard que l’église ou le couvent projetés sont trop voisins d’une mosquée ou d’un cimetière musulman : d’où la possibilité de soulever des contestations, voire de suspendre la main-d’œuvre. Le maquis de la procédure ottomane est, en vérité, inextricable.

On estimera, d’après cela, quelle dose de longanimité et d’astuce il a fallu à nos religieux pour édifier tous les établissemens d’instruction ou de bienfaisance dont ils ont couvert le territoire de l’Empire. La peine que cela leur a coûtée prouve une fois de plus que, si « tout est difficile, en ces pays rien n’y est absolument impossible. » Mais elle prouve surtout combien est précaire la tolérance dont on use à leur égard, et, en général, à l’égard de tous les Européens.

Nous touchons ici à un sujet brûlant : celui du fanatisme musulman. Il faut bien l’avouer : les entraves religieuses, que nous ne subissons plus, ont gardé, en Orient, toute leur force, et, pour le voyageur qui a étudié les âmes d’un peu près, c’est une inquiétante surprise de constater combien l’Islam est resté, quoi qu’on dise, intact et exclusif dans sa foi.

Oh ! je sais bien qu’en affirmant cela, je vais exciter les protestations indignées de tout ce qu’il y a de Jeunes-Turcs, de Jeunes-Egyptiens, et, ajoutons maintenant, de Jeunes-Tunisiens et de Jeunes-Algériens, en attendant les Jeunes-Marocains. J’ai toujours en mémoire mes conversations avec Moustafa Kamel Pacha, qui, de toute son éloquence, repoussait le reproche de fanatisme adressé à ses coreligionnaires. Sa sincérité était évidente, mais il ne m’a pas convaincu. Je crois encore que tous ses amis et tous ses partisans sont également sincères, qu’ils souhaitent ardemment non pas une transformation, mais une épuration de l’idée religieuse musulmane. Seulement, ils sont un