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consolait à penser que d’autres, là-bas, transpiraient davantage.

Après le supplice de l’eau, celui de la poussière, de la chaleur et de la soif, — le supplice du Sud !… Le Sud ! Quel nom hallucinant ! Je l’aime à la folie, ce pays de la soif, je l’aime dans tout le paroxysme de son flamboiement ; mais je sais à quel prix il faut acheter l’enchantement de ses mirages, l’accablante beauté de ses grandes lignes toutes nues et la pureté de sa lumière. Je le pressens de loin. Quand le sable commence à s’insinuer sous la porte de ma chambre, quand les murs et les plafonds se fendillent, quand les tarentes courent le long des solives, alors je reconnais son approche. Le Sud va m’envelopper de son haleine de feu. Mes lèvres et mes mains vont se gercer, et je ne pourrai plus dormir, sinon d’un lourd sommeil de cauchemar.

Dès le Caire, on prend une première idée de ces tourmens. Passé le mois de mars, on y soutient une lutte incessante et vaine contre la poussière, une poussière noire, asphyxiante, véhiculée par les souffles brûlans du khamsin, et tellement impalpable qu’elle semble se confondre avec la couleur du ciel. Elle entre partout, se déploie sur les vêtemens, compromet les blanchissages les plus soigneux, viole les armoires et les malles le plus hermétiquement closes. Elle vous englue les doigts, vous dessèche la gorge, elle est l’air même qu’on respire. A mesure qu’on s’enfonce dans la Haute-Egypte, la poussière augmente, devient plus dense et plus étouffante. Voyagez-vous en chemin de fer : à chaque station, un jeune esclave armé d’un plumeau doit épousseter la couche de limon qui s’est accumulée sur les banquettes et sur votre personne. Autrement, vous vous enlizeriez peu à peu comme le Sphinx de Gizeh. Aussi tous ceux qui peuvent émigrer vers des régions moins poudreuses et moins torrides, — c’est-à-dire le plus grand nombre des Européens et des riches indigènes, — s’empressent-ils de s’embarquer aux premières chaleurs. Pendant six semaines, les paquebots sont pris d’assaut. On retient ses places longtemps à l’avance. L’express d’Assouan est plein d’officiers exténués qui fuient leurs garnisons nubiennes ou soudanaises. Ceux qui sont le plus à plaindre, ce sont les employés et les ingénieurs de toutes ces sucreries qui s’échelonnent sur les deux rives du Nil. Une villégiature en Europe ne leur est pas toujours permise. Ils sont forcés, comme les Cairotes, de se rabattre sur les plages