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m’évertuant à y découvrir quelque chose d’extraordinaire. Tout ce que je constatai, c’est qu’elle est fort délabrée et qu’elle ferme mal. Et je m’en allai, cruellement déçu.

Toujours dans le petit tramway jaune, je parcourus, d’un bout à l’autre, la voie triomphale, par où les empereurs de Byzance s’acheminaient autrefois vers le Sacré Palais. Des kilomètres de bicoques en bois, pour la plupart vermoulues, se déroulèrent jusqu’au château des Sept-Tours. J’atteignis enfin la célèbre Porte d’or, point de départ du cortège qui accompagnait le Basileus victorieux… Hélas ! c’est une ruine informe et méconnaissable ! Elle a été aveuglée par les Turcs qui ont bouché ses trois arches avec de la maçonnerie, qui l’ont dépouillée de ses statues et de ses bas-reliefs. Les ronces l’envahissent, ses blocs de marbre se délitent, les angles s’affaissent. Autour, s’amoncellent toutes les ordures d’une banlieue, — et d’une banlieue orientale ! La Porte d’or de l’autocrate byzantin n’a rien à envier, dans sa décrépitude, à la Sublime-Porte du Commandeur des croyans !

Alors, devant la désolation de ces lieux, je méditai une fois de plus sur la duperie des mots sonores, dont les Orientaux sont si volontiers prodigues, — toutes ces appellations pompeuses qui survivent à des splendeurs défuntes et d’ailleurs problématiques, et qui continuent à fasciner nos imaginations occidentales : La Porte d’or, le Militaire d’or, la Magnaure, la Voie triomphale, le Sacré Palais ! Quelles syllabes magiques ! Il nous suffit de les prononcer, pour qu’immédiatement tout un décor de magnificences s’évêque en notre esprit ! Et ces autres syllabes, où nous mettons involontairement de la poésie et du mystère : Stamboul, Hedjaz, Islam, Moghreb ! Comme elles chantent ! Comme elles nous sollicitent vers le pays bleu des chimères ! Mais comme elles sont trompeuses ! De même que l’emphase du style chez les chroniqueurs byzantins, ici, le beau son des paroles nous cache et nous transfigure la misère des choses.

En vérité, c’est nous, bonnes gens d’Occident, qui créons le mirage oriental. Là même où c’est réellement très beau, il faut nos yeux pour s’en apercevoir. Ceux des Orientaux n’en ont cure. La nature, sans âme pour eux, ne les intéresse point. Un arbre qui leur donne de l’ombre, une source qui les rafraîchit, un banc de bois ou une natte pour s’étendre, ils n’en demandent