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Au moment où la conclusion de la paix entre le Sultan et Mehemet-Ali fut connue à Paris, le duc de Broglie dit à l’ambassadeur de Russie que la France espérait voir cesser les mesures provoquées par l’état de guerre. En d’autres termes, le gouvernement français s’attendait à la révocation immédiate des dispositions militaires prises par la Russie. Cette observation du ministre français irrita encore l’Empereur. Sur le rapport de Pozzo di Borgo du 15/27 mai 1833, dans lequel les paroles du duc de Broglie se trouvaient consignées, il écrivit : « La question du gouvernement français est une impertinence à laquelle il ne faut autrement répondre que par les faits mêmes. » Dans ces conditions, la nouvelle de la conclusion du traité d’Unkiar-Skelessi entre la Russie et la Porte devait produire à Paris une pénible impression. Rien que, par sa dépêche du 5/17 août 1833, le vice-chancelier s’applique à atténuer aux yeux du gouvernement français l’importance de cet accord, le roi Louis-Philippe et le duc de Broglie comprenaient fort bien qu’il assurait à la Russie une position dominante à Constantinople. Ils ne pouvaient d’aucune manière partager l’avis du cabinet de Saint-Pétersbourg que la Porte avait témoigné le désir d’échanger la « sûreté matérielle » due à la présence de l’armée et de la flotte russe contre « la garantie morale » que devait lui assurer une alliance avec la Russie. Il est évident que cette « garantie morale » pouvait en tout temps se transformer en garantie matérielle.

Le même mécontentement se produisit à Londres. Le Cabinet de Saint-James persuada celui des Tuileries de présenter à Saint-Pétersbourg une protestation collective contre l’alliance russo-turque. Toutefois, le roi Louis-Philippe jugeait cette question avec sang-froid. Lorsque l’ambassadeur de Russie le pria de vouloir bien s’expliquer à ce sujet, le Roi se prononça en ces termes : « Je vais vous en dire plus que je ne devrais, mais c’est l’homme et non le Roi qui parle. Mon ministre avait minuté un projet de note, qui contenait, à la vérité, des observations sur votre traité avec la Porte, mais sans aucune expression qui aurait pu provoquer la moindre irritation. Lord Palmerston ne voulut pas l’accepter et envoya celui qui fut adopté en définitive. » La note remise au comte Nesselrode par les représentons de l’Angleterre et de la France constatait « la profonde affliction » éprouvée par les deux puissances à l’occasion du traité d’Unkiar-Skelessi.