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La loi de colonisation fut promulguée le 26 avril 1886. Elle instituait une Commission spéciale et mettait à sa disposition cent millions de marks pour arrêter ce que le discours du trône appelait, d’un mot chargé d’histoire, « le refoulement de l’élément allemand » par la race slave. Cette somme devait être employée à l’achat de terres propres au morcellement ; on organiserait des communes nouvelles, on bâtirait des mairies, des écoles, des églises ; on formerait entre le grand propriétaire foncier, absentéiste ou meneur, et le prolétariat rural, d’opinion serve ou tumultueuse, une classe agricole moyenne, maniable, composée de paysans et d’ouvriers fixés au sol et destinée à renforcer cet esprit public de gouvernement qui est, en quelque sorte, la philosophie politique du petit domaine clos. Elle serait exclusivement allemande et ferait œuvre nationale en accomplissant sa besogne quotidienne. On endiguerait, ainsi, le mouvement d’émigration au-delà des mers qui commençait, provoqué par l’accroissement rapide de la population. Certains domaines de l’État pouvaient être transformés en parcelles. Mais ce que la loi visait, c’était la diminution et, si possible, la disparition de la grande propriété polonaise. Bismarck pensait que la noblesse était la tête du nationalisme et que, pour germaniser le peuple, il suffirait de le décapiter économiquement. La loi d’expropriation sera la conséquence de cette erreur.


II

Un demi-milliard de marks et cent mille colons jetés dans les Marches de l’Est par une bureaucratie méthodique, active, et qui mettait du patriotisme dans l’entreprise, ont produit des effets économiques considérables et donné des résultats politiques contraires aux prévisions du plus grand serviteur des rois de Prusse. Nous ferons voir les uns et les autres avec des chiffres. Les chiffres vont plus droit au fond des choses et sont une source d’émotion plus abondante qu’une vaine pompe de paroles sentimentales. Fournis par le gouvernement, dans un document qui résume « vingt ans de travail de civilisation allemande, de 1886 à 1906[1], » ils expriment des réalités matérielles. D’autres,

  1. Denkschrift, Zwanzig Jahre Kulturarbeit. Haus der Abgeordneten, 1907, n° 501.