Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/905

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout au fond, en communication directe avec lui, la « buvette, » presque aussi vaste, qui reçoit le jour d’un grand plafond laiteux. Quand je m’y présentai, vers quatre heures, une vingtaine d’ouvriers, casquette sur la tête, assis au tour de tables massives buvaient un « setier » de vin, en « cassant une croûte » et causant bruyamment.

Cette Société, d’apparence presque sordide, est cependant la mieux achalandée de toutes les sociétés de Paris. Elle existe depuis 1891, et groupe actuellement de huit à neuf cents membres, « peaussiers, » tanneurs, cordonniers, chiffonniers, dont elle ne semble point choquer les habitudes ; d’ailleurs beaucoup de ces ouvriers, les « peaussiers » surtout, sont fort à l’aise. Le montant de la consommation par tête y est d’environ 500 francs par an, ce qui est tout à fait exceptionnel à Paris.

La Prolétarienne, du XVIIIe arrondissement, qui groupe un millier de membres, est fort loin d’avoir une clientèle aussi assidue ; mais elle forme un heureux contraste avec les précédentes. De fondation récente (1904), elle est installée dans la rue Trétaigne, rue nouvelle et très claire ; ses magasins, fort propres, reposent agréablement la vue, quand on vient d’en visiter d’autres. La cave est spacieuse, bien aménagée. La « salle du Conseil, » un peu basse, d’aspect sévère, est décorée d’affiches de convocation et de gravures significatives : la « cave communiste » de Maraussan ; « Bonnaire et Ragu, » personnages d’un roman de Zola, et un portrait de M. Combes. Un buste de la République, un grand médaillon de J.-B. Clément, ancien membre de la Commune, complètent l’ornementation. A la Prolétarienne, il y a beaucoup de révolutionnaires, quelques artistes, et malheureusement pas assez de bons consommateurs.

Parmi les Sociétés qui ne sont pas propriétaires de leurs magasins, quelques-unes sont encore intéressantes, comme la Famille, de la rue Malar ; l’Économie parisienne, de la rue des Gravilliers ; l’Abeille, de Passy, toutes socialistes ; l’Effort démocratique, du boulevard Raspail, fondée sous l’inspiration du groupe « sillonniste. » Je ne poursuis pas l’énumération ; et je me borne à observer que le plus grand nombre de ces magasins coopératifs coûtent fort cher. Presque partout, le prix de location, qui varie entre 800 et 5 000 francs, m’a paru disproportionné avec le nombre des membres.