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plupart des petits magasins, un certain encombrement de papiers ou de caisses éventrées, un plafond fumeux d’où pendent des balais de crin et des saucissons, décèlent l’absence d’un patron intéressé. J’ai vu une salle de vente, salle unique, où les registres de comptabilité, mêlés à des factures écornées, semblaient avoir été jetés à la volée au milieu de « litres » malpropres.

Mais les coopératives les mieux tenues, par l’aspect misérable de leurs locaux, semblent faites pour décourager l’acheteur. Deux m’ont particulièrement frappé, parce qu’elles sont intéressantes à plusieurs égards : la Société de l’Est, et l’Utilité sociale.

La Société de l’Est, fondée en 1868, qui groupe plus de 3 000 agens du chemin de fer, a loué, rue Pajol, une « école abandonnée, » une école du bon vieux temps, ni gaie ni brillante. A l’entrée, le nom de la Société se détache en grisaille sur une arcade écaillée. Un couloir de plein air, aux coudes brusques, conduit l’acheteur à un vieil et raide escalier de bois, qu’il faut gravir pour arriver au magasin d’épicerie. Ce magasin, où règne un comptoir hérissé de guichets, est bien agencé, mais sombre. Suspendus aux solives saillantes, en nombre, des « saucissons de Lorraine » s’offrent tout d’abord au visiteur, qui peu à peu distingue, dans le clair-obscur, les denrées coloniales, la vaisselle, la quincaillerie, les vêtemens, les chaussures, les chapeaux. Malgré ces dehors peu engageans, la Société de l’Est ne fait pas de mauvaises affaires. Je ne crois pas que la théorie coopératiste soit très familière aux administrateurs et aux membres ; mais cette coopérative, pourvue d’un gérant, est convenablement dirigée ; ses frais généraux ne dépassent pas. 6,50 pour 100, et son dividende est ordinairement de 7,50 pour 100. Aucune société de Paris ne présente des résultats aussi favorables.

L’Utilité sociale est établie sur le boulevard Auguste-Blanqui ; mais le moindre marchand de vin y est plus apparent qu’elle. Comme à la Société de l’Est, on franchit en entrant une pauvre vieille arcade, où le titre est peint en caractères ternes. On arrive dans une cour étroite, presque sinistre, entourée de grands bâtimens, qui laissent pendre de leurs fenêtres des linges de toute espèce. Plus noir encore que la cour, sur la gauche, s’ouvre le magasin, dont on a tiré le meilleur parti possible ; et