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ordres, ne fut un fléau que sur les champs de bataille. « Du milieu même de leurs campagnes ravagées, plus d’une fois, les nations et les puissances m’ont rendu ce témoignage… J’ose croire que la nation n’a point oublié avec quel dévouement facile on me vit combattre en Italie dans des postes subordonnés ; elle n’a pas oublié comment je fus reporté au commandement en chef par nos malheurs ; elle se souvient comment, deux fois, je recomposai l’armée des débris de celles qui avaient été dispersées et comment, après l’avoir remise deux fois en état de tenir tête aux Russes et à l’Autriche, j’en déposai deux fois le commandement pour aller en prendre un d’une plus grande confiance. »

Ainsi se portèrent sur lui les regards et la confiance de ceux qui pouvaient imprimer de nouvelles directions à la République. Des hommes célèbres par leur patriotisme et leurs talens lui proposèrent de se mettre à la tête d’une journée « assez semblable à celle du 18 Brumaire. » Il refusa, se croyant fait pour commander aux armées et non à la République. C’était assez prouver qu’il n’ambitionnait ni l’autorité ni la puissance. Il le prouva mieux encore au 18 Brumaire. Les partis le pressaient de se mettre à leur tête pour s’opposer à cette révolution. Il se déroba à leurs instances et, en exécutant les ordres du général Bonaparte, il concourut à le porter au pouvoir. Bientôt après, il acceptait de ses mains le commandement de l’armée du Rhin, « avec autant de dévouement qu’il l’eût accepté des mains de la République. » « Jamais mes succès militaires ne furent plus rapides, plus nombreux, plus décisifs qu’à cette époque où leur éclat se répandait sur le gouvernement qui m’accuse. Au retour de tant de succès dont le plus grand de tous était d’avoir assuré d’une manière efficace la paix du continent, le soldat entendait les cris éclatans de la reconnaissance nationale. Quel moment pour conspirer, si un tel dessein avait pu jamais entrer dans mon âme !… Je ne songeai qu’à licencier l’armée, et je rentrai dans le repos de la vie civile. »

En rappelant ces faits présens encore à toutes les mémoires, Moreau ne disait rien qui ne fût d’une vérité rigoureuse. Et c’est aussi la vérité qu’il proclamait, lorsqu’il établissait devant ses juges, qu’au cours de ce repos, « qui n’était pas sans gloire, » il n’avait attaché de prix qu’au souvenir de ses actions, aux honneurs qu’il leur devait, au témoignage de sa conscience, à