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vit pas sur le flot est indolent et paresseux. Derrière notre auberge, des journaliers coupent les foins, la grande récolte de Balstad, la seule importante et pour laquelle Dieu ne leur donne souvent « qu’un jour, qu’une heure, qu’un moment ! » Il faudrait aller sous l’Equateur pour trouver des hommes plus lents, plus mous, plus résignés à ne rien faire. La grosse dame de la maison blanche, dont le beau-père a défriché ces champs, et son amie, la mince demoiselle de la poste, sont obligées, par crainte des orages, de faucher et de faner elles-mêmes. Mais chaque jour les pêcheurs du pays partent sur leurs barques effilées. Les femmes et les jeunes filles épient leur retour et se hâtent au bruit des proues éclaboussées qui déchirent les goémons. Quand ils rapportent d’énormes poissons qu’on décapite, avant de les peser, sur le plancher de la fabrique, le contentement les raidit dans une gravité modeste et solennelle. Si leur pêche est médiocre : « C’est bien la peine, maugréent-ils, de venir voir quand on n’est pas capable de pêcher soi-même ! »

Le pasteur demeure à trois kilomètres. La route de la vallée qui conduit au presbytère longe des prairies, des lacs, des tourbières et une forêt de bouleaux, tordus comme des sarmens, hauts comme des myrtes, et d’où s’échappent des merles noirs. Moitié paysan, moitié homme d’Église, il regrette les plateaux du Finmark où il était l’an dernier à la tête d’une paroisse « aussi grande qu’un duché d’Allemagne. » Il y régnait par la terreur sur les loups, les outres, les renards, les phoques et les poules des fjells. Il pêchait, lui aussi, le hareng et la morue, et vendait sa pêche aux bateaux russes d’Archangel qui, de juin en septembre, viennent débiter du bois et de la farine… Sa femme l’interrompt :

— Là-haut, nous n’avions que trois vaches ; ici, nous en avons douze,

Il est vrai que le district de Balstad passe ; non sans raison, pour le plus riche des Lofoten, et les pâturages de ses fjells pour les plus gras ; mais l’hiver pluvieux et sombre, où le thermomètre ne tombe pas au-dessous de dix degrés, est plus dur que les quarante degrés de l’extrême Norrland. Et puis, au Finmark, on s’occupe de politique, on s’intéresse à la vie, on est continental enfin, tandis qu’aux Lofoten…

— Nous avons aussi, reprend sa femme, vingt-quatre brebis, deux chevaux, neuf domestiques ; et, comme l’ancienne église a