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frayeur mystique d’autant plus efficace qu’ils la ressentaient eux-mêmes. Ils se faisaient de leurs propres épouvantes des armes sournoises et ils aiguisaient leurs superstitions en ruses de guerre. Les aspects de leur existence servaient à leur sorcellerie. L’hiver, sur les plateaux neigeux que lèchent les rayons de l’aurore boréale, des ombres rapides, des bruits étranges, des aboiemens de chiens, des bondissemens de bêtes aux fantasques ramures, quelle apparition qu’une tente laponne ! Les ombres qui glissent sont de petits hommes sur de longs patins de bois, des espèces de Trolls : jambes torses, large face, des yeux bridés d’Asiatiques, et, quand ils parlent, une étonnante douceur de voix. L’été, dans un cercle de jappemens et d’échos sonores, les sombres jeunes filles traient leurs rennes au soleil de minuit.

Ils sont braves ; mais leurs impressions de joie et de douleur se jouent sur un vieux fond d’angoisse nerveuse avec la mobilité d’un reflet de lumière. Ils ont des visions ; ils entendent des voix. Les éveils religieux, « qui gagnent de cime en cime comme les feux de mai, » les saisissent par toutes leurs fibres encore vibrantes de païens idolâtres. Les versets de la Bible font à leurs oreilles un bruit d’incantation ; la psalmodie d’un lœstadien les jette dans les mêmes extases que jadis leur tambour ensorcelé.

Pêcheurs, cultivateurs ou nomades, pourvu qu’ils demeurent indépendans et cramponnés à leurs fjells, ils s’unissent volontiers aux races étrangères, surtout aux Finnois et aux colons de la Suède. La Norvège, qui peut tout, a réussi le Lapon grand et blond. Dans le mélange des sangs d’où l’homme du Norrland tire sa fantaisie et sa chaude couleur, le sang lapon a même infiltré un singulier pouvoir de séduction érotique. Un des meilleurs peintres de la vie du Nord, le romancier norvégien Jonas Lie, nous montre des filles de commerçant ou de pasteur enlevées par le métis lapon qui, venu à patins chez le marchand de l’endroit, leur dépeignit, avec sa richesse d’images et ses expressions enfantines, la splendeur aventureuse des espaces libres. Et il en fut ainsi de tout temps, du temps de Pelle Molin aussi bien que du temps des Sagas où le roi Harald restait pendant trois ans penché, — et comme envoûté, — sur sa petite Laponne morte.