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barbares dont ils célèbrent l’entrée de leurs morts dans la gloire céleste, la damnation dont ils frappent tous ceux qui ne partagent pas leur démence. Les âmes courent à l’orgie mystique, et les corps accompagnent les âmes. Un ingénieur racontait qu’un jour, près du cercle polaire, pénétrant dans une ferme, d’où sortaient des clameurs déchirantes, il se crut au milieu d’aliénés. On hurlait, on bondissait, on s’étreignait, on retombait sur les bancs avec des torrens de larmes. Une femme lui tendit les lèvres et les bras, au nom de l’Esprit Saint dont elle était possédée…

Cette nature qui développe, chez les durs protestans, l’hystérie biblique entretient dans beaucoup d’âmes encore teintées de paganisme une poésie aussi fantasque que l’éclairage du soleil de minuit. Comme l’orchidée qu’on nomme ici « les deux mains du Seigneur, » la fantaisie suédoise a deux racines : l’une vieille et noire qu’alimente le sombre hiver ; l’autre neuve et blanche, tout imprégnée de la lumière d’été des nuits arctiques. Neuve en effet, s’il est vrai que l’entrée du Norrland dans la littérature de la Suède date du petit livre posthume de Pelle Molin publié en 1895. A l’apparition de ces trois ou quatre nouvelles accompagnées de courtes esquisses, les imaginations tressaillirent et s’élancèrent vers la province de songe et de désir dont la tombe d’un jeune homme inconnu leur marquait la conquête. Les écrivains Scandinaves n’avaient point attendu Pelle Molin pour nous peindre la beauté des nuits de la Saint-Jean, quand elles reflètent leur visage de rose thé sur les eaux du Sund, du Mœlar ou du Siliane. Mais ils n’étaient guère montés plus haut que la Dalécarlie. Le Norrland, dont les forêts et les montagnes aux moelles de fer commençaient à hanter la Suède industrielle, n’avait pas encore rencontré l’homme qui « avec deux mots » en fait plus, pour la gloire d’un pays, que tous les ingénieurs avec leurs coups de mine. On ne l’avait point aimé, ou du moins personne n’avait dit de quel amour il pouvait surexciter les âmes. Pelle Molin en vécut et en mourut. Son histoire est peut-être la plus étrange, sûrement la plus poignante de ses nouvelles.

C’était un fils de paysan d’une de ces vallées si âpres à la clarté du jour, si tendres aux lueurs de la nuit, brumeuses vers