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naire que celui d’hier s’il se produit au milieu de la tranquillité générale, du calme et de la paix.

Pour qu’il en soit ainsi, les Jeunes-Turcs ne sauraient montrer trop de prudence et de patience, surtout aujourd’hui que l’effervescence des premières heures de liberté ne soutient plus le mouvement dont ils ont pris l’initiative. Bien des dangers les menacent au dedans, d’autres du dehors : ce sont ces derniers qui se manifestent les premiers. Peut-être y a-t-il une eu imprudence commise à Constantinople ? La situation était déjà tendue, avant la révolution, entre la Bulgarie et la Porte. Comment aurait-il pu en être autrement ? La Bulgarie a une double ambition qui consiste, d’une part, à rompre le lien qui l’attache encore à la suzeraineté ottomane et à proclamer son indépendance ; de l’autre à empiéter sur la Macédoine et à en prendre le plus large morceau possible, si elle ne peut pas en prendre la totalité. C’est une situation bien connue ; nous en avons parlé plus d’une fois. La Bulgarie a préparé, pour la mettre un jour au service de son ambition, une armée relativement considérable, bien outillée, bien disciplinée, qui pèsera dans la balance le jour où se régleront pour une nouvelle période plus ou moins longue les intérêts du monde oriental. Cela étant, si les Jeunes-Turcs veulent la paix, — et ils en ont besoin pour mener à bien leur entreprise, — ils doivent s’appliquer à ménager la Bulgarie, et à ne la provoquer, ni dans ses intérêts, ni dans ses susceptibilités. Or il vient de se passer, à Constantinople, un fait petit en apparence, mais grave en réalité, et qui peut le devenir davantage si le conflit qui en est sorti n’est pas promptement dissipé : l’agent bulgare, M. Guéchof, n’a pas été invité au dîner donné au corps diplomatique. Il l’était autrefois ; pourquoi ne l’est-il pas aujourd’hui ? Ce n’est pas pour cause de négligence ou d’oubli ; une omission involontaire aurait déjà été fâcheuse, mais M. Guéchof a protesté par avance contre l’exclusion dont il se sentait menacé, en annonçant que, si elle était maintenue, il quitterait aussitôt Sofia. Elle a été maintenue, et il est hors de doute qu’elle l’a été intentionnellement. Le gouvernement bulgare a demandé réparation. Si la Bulgarie n’est pas un État indépendant, elle jouit d’une si forte autonomie que déjà, à plusieurs reprises, elle a conclu des traités avec d’autres pays et d’autres gouvernemens, et même avec la Turquie. Elle a une représentation diplomatique auprès de toutes les puissances, et toutes les puissances en ont une auprès d’elle. Pourquoi l’avoir inquiétée dans cette situation, qui aurait peut-être suffi à ses ambitions immédiates si on ne l’y avait pas troublée ? Le