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ces instrumens perfectionnés sont récentes. Elle aurait comporté en France une réponse facile, si on n’avait eu qu’à consulter la loi de 1793 dont les termes sont si clairs, et la protection si absolue. Malheureusement, il a fallu tenir compte aussi de la loi de 1866. Lors de la signature de son traité de commerce avec nous, la Suisse demanda, au profit de ses fabricans d’instrumens mécaniques, une faveur, une exception à la règle absolue de la loi de 1793. Son désir fut satisfait, et la loi du 16 mai 1866 établit dans les termes suivans l’exception demandée :

« La fabrication et la vente d’instrumens qui servent à reproduire mécaniquement des œuvres musicales légalement protégées, ne constituent pas une violation de la propriété artistique… »

Cette loi avait été vivement combattue au Sénat par Mérimée, qui y voyait une atteinte au principe de la propriété. Mais les dangers pratiques ne parurent pas sérieux ; la reproduction se trouvait limitée à l’instrument lui-même qui jouait certains airs et ne pouvait jouer que ceux-là. Au cours de la discussion, quelqu’un dit bien que dans l’antiphonal de Debain, où les airs étaient notés sur des planchettes, on allait remplacer ces planchettes par des cartons perforés ; on lui répondit : « Cela ne viendra pas ; » et la loi fut votée. Or cela est venu. Les cartons sont venus, et après le carton du pianola, le disque de l’ariston, le rouleau du phonographe. Les fabricans de tous ces instrumens se sont considérés comme couverts par la loi de 1866. Les compositeurs ont supporté avec quelque impatience ce qu’ils appelaient nettement une contrefaçon ; et quand la contrefaçon s’est étendue avec le développement de l’industrie des phonographes, ils ont fait aux fabricans un procès qu’ils ont perdu devant le tribunal de la Seine, et gagné en partie devant la Cour d’appel, dont l’arrêt vient d’être consacré par la Cour de cassation. Il faut distinguer, a dit la Cour : la loi de 1866, qui établit une exception en faveur des instrumens mécaniques, s’applique même à ces instrumens nouveaux qui ont des organes interchangeables ; seulement, elle ne parle que de la reproduction d’œuvres musicales ; par suite, elle n’a pas dérogé à loi de 1793 quant aux paroles. Les phonographes peuvent donc reproduire librement la musique seule, mais ils ne peuvent reproduire, sans contrefaçon, ni les paroles seules, ni la musique avec paroles.