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fabricans. On sait ce qui en advint, et que l’art pur donna les œuvres froides de l’école néo-classique, tandis que le goût du meuble et de l’ornement se perdait. À cette distinction esthétique répondait alors, et assez justement, une distinction juridique : l’art pur était protégé dans ses œuvres par la loi de 1793 ; l’industrie, pour ses dessins et modèles de fabrique, par la loi de 1806. Or, pour conserver son droit, le fabricant est tenu, avant toute mise en vente, de déposer un échantillon de son dessin, de déclarer pour quel temps il veut s’en réserver la propriété, enfin de payer une taxe ; l’artiste n’est tenu à rien, qu’à déposer deux exemplaires, s’il s’agit d’œuvres de littérature ou de gravure, avant de poursuivre ses contrefacteurs. Cette distinction de l’art pur et de l’art appliqué fut, pour la première fois, attaquée vers 1860 par le comte Delaborde. Il en montra les périls : il rappela le passé, le nôtre, celui de la Grèce. Il fut d’ailleurs très vivement combattu ; et, tandis que Beulé lui opposait en phrases élégantes et vides les droits supérieurs de l’art, Ingres lui ripostait sèchement : « Maintenant, on veut mêler l’industrie à l’art. L’industrie, nous n’en voulons pas. Qu’elle reste à sa place et ne vienne pas s’établir sur les marches de notre Ecole, vrai temple d’Apollon consacré aux arts seuls de la Grèce et de Rome. » Cependant l’union, recommandée par le comte Delaborde, était trop conforme aux traditions françaises pour qu’elle ne se fît pas. Elle s’est faite sous nos yeux avec les belles œuvres de Gallé, de Delaherche, de Bigot, de Lalique, et de tant d’autres qui les ont suivis. A mesure qu’elle se faisait, la distinction juridique des lois de 1793 et de 1806 devenait un non-sens. Il fallait protéger également, dans le bouton de porte comme dans la statue, la pensée créatrice. Mais la jurisprudence était trop bien habituée à décider de la valeur artistique. On ne pouvait rien attendre d’elle. Il fallait une loi. Cette loi fut votée en 1902. Il est bien connu qu’elle a été l’œuvre patiente, obstinée, du président de la Chambre syndicale des fabricans de bronze, M. Soleau. Elle tient en une phrase : « le même droit, — celui de la loi de 1793, — appartiendra à la sculpture d’ornement, quels que soient le mérite et la destination de l’œuvre. » Désormais la distinction juridique avait disparu.

Elle a disparu en France, mais elle subsiste dans d’autres pays. Ce que demandent les Allemands, c’est qu’elle soit partout