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piédestal, dans l’espoir d’atteindre les Dieux et de leur présenter l’offrande. Les marchands installés contre les colonnes ont peine à satisfaire cette clientèle exigeante qui assiège les comptoirs et enlève de haute lutte le safran écarlate, la chaux laiteuse, les guirlandes de roses blondes, les feuilles claires du bétel. Puis on barbouille les images, on dépose les plantes sur le socle. Marqués de blanc au front, de rouge au cou, Aguini et Virapatrin, dieux des basses castes, ne reçoivent plus aujourd’hui de sacrifices sanglans. Les deux superbes statues en diorite polie disparaissent sous les fleurs. Chacun, chacune, après leur avoir fait honneur, prend une pincée de la poudre qui les couvre et s’en frotte le front.

Le Virapatrin de Madura compte parmi les plus remarquables exemples de la grande sculpture dravidienne… Aussi bien le temps me manque-t-il pour une étude de détail ; et quelle pitié d’être esclave de l’heure au milieu de tant d’objets intéressans ! Tout, à Madura, architectures, sculptures, peintures, tout serait à noter. Les dernières surtout qui, par leur disposition en registres, le dessin, l’emploi des couleurs, nous reportent à l’art égyptien ; à l’art assyrien également, si l’on s’en tient aux chevaux et aussi à ces colosses sculptés des colonnades latérales. Avec leur barbe pointue, leur mitre, leur masse, ces grands pions de basalte semblent venus de Ninive. Les saillies théoriques de leurs muscles sont bien celles de tous les types assyriens.

Mais il nous faut parcourir la pagode à telle allure que le plus beau m’échappe. C’est au passage que je jouis des effets singuliers de lumière dans les profondes galeries sans vides, sous les sabots menaçans de bêtes cabrées qui jaillissent du chapiteau des pilastres. Au milieu, c’est l’obscurité ; aux extrémités, tout s’éclaire. Le jour frisant caresse les surfaces polies des sculptures ; elles palpitent comme animées du souffle de la vie. Dans les tabernacles à colonnettes ciselées, les niches affouillées en dentelle, entre les piliers évidés, tout un monde s’agite. Dieux, monstres et démons, déesses se guettent, s’appellent, se défient, se repoussent, se recherchent, s’étreignent, grimaçant, souriant de joie, de colère, d’amour ou de haine, dans leurs sauvages enlacemens.

Au-dessus, au-dessous, autour de cet Olympe de pierre, c’est un ronflement sourd, un vol doux et mystérieux. Des chauves-souris grises s’ébattent dans la pénombre. D’autres sommeillent,