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contentaient de l’observer du Roc. Sans cesse, il recevait des nouvelles. Avisé de l’approche de M. d’Auteuil qui avait gagné Ottatour, à quinze milles de Samiavéram, avisé aussi des manœuvres de Clive qui marchait sur cette ville, il tint entre ses mains la chance de prendre encore l’ennemi à dos. Mais, au lieu de courir à la bataille avec tout son monde, il se contenta d’expédier 40 déserteurs anglais, autant de Français, et 700 cipayes, avec, à leur tête, un officier inconnu, contre le meilleur des hommes de guerre que la Compagnie anglaise ait eus à son service.

Un coup de hasard faillit faire réussir cette pauvre combinaison. L’espionnage réciproque était à ce point actif, que d’Auteuil, avisé du mouvement de Clive, put lui échapper. L’Anglais reprit, attendant une occasion meilleure, ses quartiers de nuit à Samiavéram. Les troupes y étaient campées dans deux pagodes. Celle de la déesse Mariammin abritait Clive en personne, qui, n’ayant d’autre lit que son palanquin, s’y endormit tranquillement.

Vous savez quelle confusion régnait dans ces armées cosmopolites. La foule des non-combattans, porteurs, domestiques, marchands, charretiers, hommes, femmes, enfans encombrait les avenues et les places, mêlée aux voitures, aux chevaux, aux éléphans et aux bœufs. Grâce à l’obscurité, le détachement parti de Sriringam put se glisser à travers cette multitude et ouvrir le feu contre les Anglais sans défiance. Les premières décharges produisirent une épouvantable confusion. Clive n’était pas réveillé que ses soldats couraient affolés ou tombaient sous les coups. Lui-même n’échappa aux balles que par miracle. Se jetant, sans hésiter, dans la presse, il put rassembler deux compagnies et se porter, à leur tête, vers la grande pagode où il pensait qu’une sédition de cipayes venait d’éclater. Ce fut seulement quand il commanda à ces cipayes de mettre bas les armes qu’il comprit que c’étaient les Français. Blessé deux fois par un Irlandais de la troupe des déserteurs, il déchargea ses pistolets sur son agresseur et le poursuivit jusqu’à la pagode de Mariammin., Ce combat de nuit lui réservait de plus grands hasards. Sous le porche, il fut arrêté par six soldats français qui lui crièrent de se rendre.

Tout autre que Clive se fût rendu ou fait tuer. Avec le plus beau sang-froid, il somma les six Français de se constituer prisonniers : « Ils étaient cernés. A la première résistance on les passerait par les armes. » Des pourparlers s’engagèrent.