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forteresse de Tanjore ne dérangeait pas beaucoup Chunda-Sahib et Dupleix. Mais, chose autrement grave, Nazir-Singh ne tarda pas à se rapprocher avec une grosse armée. Vous n’avez pas oublié ce Nazir-Singh, fils du nizam Oul-Moulk et dépossédé par Mozzufer-Singh : je vous racontai ses déboires quand je parlais de Genji. Au seul bruit de son arrivée, les troupes des protégés de Dupleix se dispersèrent, et leur fuite les porta d’une traite sous les murs de Pondichéry, où la colonne française les rejoignit bientôt. Seul M. Duquesne demeura à Tanjore où la maladie l’avait tué.

Dupleix ne se découragea pas pour si peu.

Pareil à tous les imaginatifs, pareil aux joueurs qui trouvent le même plaisir dans la perte que dans le gain, pourvu que le jeu dure, il reprit la partie. Vous savez comment il la perdit, comment les Mahrattes menacèrent un moment Pondichéry, comment encore Mozzufer-Singh tomba aux mains de Nazir-Singh, qui le para aussitôt d’un collier et de bracelets en bon fer ; comment enfin la défection des officiers français, mécontens de la part trop réduite qu’on leur avait allouée, dans le pillage de Tanjore, paracheva la ruine de ses intérêts.

Le moindre avantage, pourvu qu’on le fît valoir, suffisait alors pour compenser les plus graves revers. L’Inde affolée vivait au jour le jour, tiraillée par ses prétendans. Ses faveurs variaient avec l’heure. L’élu du matin était remplacé avant le soir par un plus heureux. La prise de Genji, grossie, amplifiée avec art, rétablit comme par miracle le prestige de Dupleix. Mais, bien que les directeurs de la Compagnie des Indes lui eussent notifié, de Paris, leur volonté formelle d’une paix générale et définitive, le gouverneur de Pondichéry ne put oublier l’affaire de Trichinopoly. Non seulement Mohammed-Ali était toujours vivant, mais Nazir-Singh l’avait nommé nabab du Carnate, et ce nabab, fabriqué contre les désirs de Dupleix, se tenait en sûreté dans les murs de Trichinopoly, d’où il dénonçait sa ferme intention de garder la place sans accepter les offres, sans redouter les menaces. Pareil au Grand Seigneur qui rêvait de Constantinople, Dupleix voyait Trichinopoly dans ses songes. Insensible à tous les heureux hasards dont abonda pour lui l’année 1750, hasards trop nombreux pour que j’essaye de vous les rappeler, il dirigea une nouvelle expédition contre Trichinopoly, dès le mois de mars 1751. Ne voulant pas comprendre