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Une fois à Chalon, la recluse témoigna une grande inquiétude au sujet de la santé de sa mère. Elle parlait fort peu de ses enfans et de son mari, qu’elle n’épargnait pas, cependant, dans ses allusions. Elle se figurait que ses lettres n’étaient pas remises à Mme la Princesse et voulait s’en plaindre au Régent. La fièvre la visitait souvent. Desangles écrivait que sa prisonnière « ne se portait pas très bien, qu’elle avait toujours des inquiétudes, qu’il était bien difficile de calmer. » — « Ah ! s’écriait-elle ironiquement, que M. le Duc d’Orléans juge de mes peines par mes plaisirs ! » Ses plaisirs, elle en avait peu. Elle consentait encore à jouer aux cartes, mais avec un air de martyre. Elle avait perdu sa hautaine insolence. Elle pleurait, priait, suppliait. O verrous de toutes les geôles anciennes et modernes, quelle puissance vous avez sur le cœur humain ! Elle élevait un ânon dans le préau de la citadelle. Elle voulait l’emmener à Sceaux, comme souvenir d’un lugubre séjour. L’animal donna lieu à ce distique de Voltaire, adressé plus tard à la Duchesse en mémoire de sa réclusion :


Dans ces murs malheureux, votre voix enchantée
Ne put jamais charmer qu’un âne et les échos.


Il lui fallait des secours religieux : elle fut bien mal servie dans la circonstance. Un singulier aumônier, l’abbé Desplannes, désigné pour l’assister dans sa prison, avait reçu des instructions secrètes pour servir d’espion contre elle, et semble s’être acquitté de ce vilain rôle avec trop de zèle. Ne se chargeait-il pas de lui faire passer de fausses nouvelles, comme celle par exemple de la prise de Fontarabie, pour attester à ses yeux le succès de nos armes et la dégoûter des Espagnols. De plus en plus unie à l’Angleterre, la France venait de leur déclarer la guerre, tandis qu’Alberoni bravait la quadruple alliance, et songeait maintenant à détrôner, non plus le Régent, mais George Ier.

A Chalon, les bruits du dehors parviennent souvent à la recluse par des correspondances secrètes. Ils ne font que renouveler son tourment. « Les nouvelles dont les prisonniers sont si affamés, leur servent de poison, observe finement Mme de Staal. Leur état le plus doux est celui où rien ne transpire jusqu’à eux. » « Mme du Maine est tombée dans une sorte de désespoir, » écrit le commandant Desangles. « Elle pleure amèrement. Elle fait des sermens de son innocence dans les termes les