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poses théâtrales. Philippe la reçoit avec calme, lui reproche froidement d’avoir proclamé à Sceaux « qu’elle ne serait jamais en repos qu’après lui avoir fait passer le goût du pain. » — « Oh ! réplique-t-elle négligemment, on dit, dans la colère, bien des choses qu’on n’exécutera jamais ! » — « On ne me fait rien croire ni décroire, » reprend le Régent en lui tournant le dos. — Furieuse cette fois, la duchesse rentre à Sceaux, où elle apprend que ses fils, le prince de Dombes et le comte d’Eu, sont consignés au château d’Eu « avec un gentilhomme ordinaire du Roi. » Devant cette mesure, symptôme précurseur d’une double arrestation, elle engage son mari à fuir. Le duc du Maine s’y refuse. « S’évader, répond-il, ce serait se déclarer coupable. » La réflexion était juste ; mais il ne pouvait guère non plus se dire innocent.

Les lettres de cachet signées du Régent dirigeaient le mari et la femme sur les deux lieux de détention séparés qui leur avaient été assignés au Conseil. Les prises de corps de l’un et l’autre, du Duc à Sceaux, de la Duchesse à Paris, donnèrent lieu à des scènes toutes différentes, suivant les tempéramens opposés des deux époux. Le 29 décembre, au matin, un lieutenant des gardes du corps, M. de la Billarderie l’aîné, venait arrêter le prince à Sceaux, au sortir de sa chapelle où il avait entendu la messe, avec ordre de le conduire sous bonne escorte au château de Doullens, en Picardie, pour l’y incarcérer. Le duc du Maine obéit, la mort dans l’âme, avec autant d’humilité que de marques de dévotion extérieure. Nous ne le suivrons pas dans son triste emprisonnement. Le soir même, une dame inconnue envoyée par la marquise de Lambert, amie de la maison, vint en cachette réveiller Mlle de Launay, à Paris, et la prévenir qu’on allait arrêter sa maîtresse. La princesse retient ses invités autour d’elle, et on fait une sorte de « veillée des armes » qui se passe, en somme, assez bien. Mlle de Launay veut faire lire à Mme du Maine, pour la distraire, un livre de Machiavel : Chapitre des conjurations. « Otez vite cet indice contre nous, lui dit Mme du Maine en riant, ce serait un des plus forts. » Cependant, la nuit s’avance. Dans un nouveau mémoire qu’elle rédige pour sa mère, en attendant le jour, la Duchesse demande qu’une fois arrêtée, on lui fasse son procès. Elle veut des juges, sachant bien, allègue-t-elle avec aplomb, que l’examen juridique de sa conduite obligera le Régent à la laisser en liberté. Le lendemain, à dix