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d’une alcôve. Il en fut de cette conjuration comme de celle de Catilina : une courtisane en trahit le secret.

Le passage à Paris de Porto-Carrero avait déjà mis les soupçons de Dubois en éveil. Les révélations de Jean Buvat, modeste employé de bibliothèque, qu’on avait chargé de copier les pièces du projet, et que la peur rendit expansif, achevèrent de faire découvrir le complot. C’est par lui qu’un soir, un peu avant minuit, Dubois, étant au lit, fut averti du départ des deux envoyés secrets de Cellamare. « La mauvaise compagnie du banqueroutier parti avec eux » lui suggéra l’idée de faire coup double : obliger ses amis les Anglais par l’arrestation de leur banquier scélérat, et profiter de la saisie de ses papiers, pour mettre aussi la main sur ceux des deux Espagnols. « Quoi qu’il en soit, dit Saint-Simon, l’abbé Dubois fit courre après eux, » voulant à tout prix se débarrasser des brouillons qui agitaient le pays. Le 5 décembre, au moment de dételer à Poitiers, Porto-Carrero est atteint par le limier du ministre. Sa voiture est fouillée, ses papiers mis sous scellés. Quant à lui, sa mission étant devenue sans objet, on lui permet de continuer son voyage. L’estafette de Dubois revient à Paris, porteur de la valise capturée. Le postillon de Porto-Carrero, ayant un mauvais cheval et n’allant pas aussi vite que son maître, était resté en arrière de deux relais. Vers Angers il rencontre le courrier ordinaire se rendant de Poitiers à Paris. — « Quelle nouvelle ? » demande le postillon. — « Je n’en sais d’autre que celle-ci, répond le courrier : on vient d’arrêter à Poitiers un Anglais banqueroutier et un abbé espagnol porteur d’une valise. » Trait de lumière pour le valet de Porto-Carrero. Il se dit : « C’est mon maître ! » prend un cheval frais et regagne Paris à franc étrier. Devançant ainsi l’estafette de Dubois, il a le temps d’avertir le prince de Cellamare, douze heures avant que l’ambassade d’Espagne ne soit envahie par les agens du pouvoir. C’était le 8 décembre.

« Les hasards, dit Saint-Simon, font souvent de grandes choses. Le courrier de Poitiers entra chez l’abbé Dubois, comme M. le duc d’Orléans entroit à l’Opéra. » La rencontre ne fit que prouver l’insouciance du Régent. « À demain les affaires sérieuses ! » dit-il, en allant souper avec des roués. Dubois, lui, lit son affaire de la conspiration éventée[1]. Il ne restait plus

  1. « Il n’en dit et n’en montra que ce qu’il voulut [des papiers] et ne se dessaisit jamais d’aucun entre les mains du Régent. » Saint-Simon, Mémoires.)