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sa folle campagne, et travaillait à convaincre le duc du Maine des merveilles qu’elle imaginait. Quand sa confidente mieux inspirée, lui disait : « Votre Altesse se fera mettre en prison, » elle lui riait au nez.

Les abbés de l’époque étaient mieux taillés pour l’intrigue que pour la chaire. Mme du Maine n’eut pas de peine à en trouver un troisième, l’abbé Brigault, auteur d’une diatribe contre le Régent : elle le nomma secrétaire d’un des comités directeurs de la conjuration, constitués à Sceaux. En dehors de ces conseils, elle avait bien ses auxiliaires, mais ils n’étaient pas tous triés sur le volet. Les uns, comme Villars, Tallard, Huxelles, ne trouvaient pas beaucoup d’intérêt personnel à se déclarer contre le Régent. Ce n’était pas la volonté qui manquait aux autres : les Villeroy, les Aumont, les Mesme, mais bien la force ou le courage. Aussi, que de mécomptes, sur le sentiment populaire, sur les dispositions de l’armée, sur le choix des hommes ! Cellamare le sentait ; mais, poussé par Alberoni, il n’en risquait pas moins ses avances au duc et à la duchesse du Maine qui y répondaient secrètement, avec une naïve inconscience. « Que Votre Altesse Sérénissime voie l’ambassadeur d’Espagne ! » disaient à la Duchesse deux de ses principaux partisans. Et ils la flattaient à qui mieux mieux, lui faisant croire qu’on pourrait tenter, par la haute intervention de Cellamare, des choses considérables. Elle osa alors lui donner rendez-vous elle-même dans une petite maison qu’elle avait à l’Arsenal et s’y rendit accompagnée de Mlle de Launay. L’un de ses affidés y conduisit à minuit le prince de Cellamare, auquel il servit de cocher. Un second rendez-vous nocturne eut lieu dans les mêmes conditions. Peu à peu l’ambassadeur développa aux conjurés un vrai plan de conspiration qu’ils acceptèrent[1]. Il osait leur proposer de soulever Paris et les provinces contre l’autorité du duc d’Orléans, considérée comme usurpée et oppressive ; de faire arrêter le Régent dans une fête ; de l’enlever, de l’incarcérer à Tolède ou à Burgos ; de convoquer les États Généraux du royaume (selon le vœu de la duchesse du Maine) et de les rétablir dans leurs anciens droits ; d’enlever la régence à Philippe d’Orléans, pour la déférer nominalement au roi d’Espagne, avec un Conseil d’État et des ministres à sa

  1. Jean Buvat, Journal de la Régence (1713-1723), éd. Campardon, Paris, 1865 ; et Jean Buvat, Mémoire Journal (1697-1729), éd. Omont. — B. N. Mss. (cote des imprimés, 995).