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II

Le prince de Cellamare[1]avait été envoyé à Paris en 1715, par la Cour d’Espagne, comme ambassadeur extraordinaire, avec mission de tout tenter pour enlever la régence au duc d’Orléans, sans savoir au juste comment on pourrait le remplacer, mais avec l’espoir de pêcher en eau trouble. Il mettra en œuvre tous les élémens de révolte qui fermentent dans le pays, courtisans en disgrâce, femmes exaltées, princesses déchues. Pourrait-il mieux trouver que la duchesse du Maine et la duchesse du Maine pouvait-elle trouver mieux que lui ?… C’est avec Cellamare qu’elle se concerte, pour soulever l’Ouest et le Midi. Elle se flatte que, par ses intrigues, sinon le titre, du moins toute l’autorité du Régent, passera à son époux. Elle se sert de l’intelligente plume de Mlle de Launay, pour correspondre avec l’ambassadeur d’Espagne. Elle secoue les dernières hésitations du duc du Maine, gagne son beau-frère, M. de Toulouse, envoie partout des émissaires. Le comte de Laval ira lever un régiment suisse dans les Grisons, au nom et avec l’argent du roi d’Espagne ; le marquis de Pompadour ira faire signer une protestation de la noblesse en Normandie ; un autre ira recueillir les engagemens de nombreux gentilshommes bretons à Nantes. Des missives secrètes donnent à la Duchesse de belles assurances : « Que l’Espagne fasse seulement paraître une escadre en vue des côtes, et toute la province se soulèvera ! » Le duc de Richelieu tient garnison à Bayonne. Ce jeune colonel espère faire mettre la crosse en l’air à son régiment, et introduire les troupes espagnoles de Philippe V par cette porte des Pyrénées sur le territoire français. Malheureusement pour lui, le duc du Maine n’avait que fort peu de prestige militaire et ne possédait pas la confiance du soldat. Dans le Languedoc et la Guyenne où il avait un gouvernement purement nominal, son autorité et son influence étaient nulles. La Duchesse, dont le quartier général est à Paris, rue Saint-Honoré, organise à Sceaux un double

  1. Antoine Giudice duc de Giovenazzo, prince de Cellamare (1657-1733), neveu du cardinal del Giudice, arrivé à Paris en 1715, avant la mort de Louis XIV, en qualité d’envoyé extraordinaire de Philippe V. « Cellamare… de beaucoup de sens et d’esprit, dit Saint-Simon, s’employait depuis longtemps à préparer bien des brouilleries… Le cardinal Alberoni avait cette affaire dans la tête, et, avec empressement. Cellamare y répondit pour lui plaire. »