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pesanteur énorme. En attendant l’explication, je vais toujours alléger le sac d’une partie de son contenu en en mangeant autant qu’il me sera possible pour ne pas entasser des indigestions. Je reçois vos cadeaux et ceux de votre bonne maman avec le même cœur que vous mettez à leurs envois[1], mais il me semble pourtant que s’ils étaient plus proportionnés à la consommation de mon ménage, ils me feraient encore plus de plaisir.

Je ne comprends pas, chère cousine, ce que monsieur votre beau-frère a pu vous dire de mon logement pour exciter là-dessus votre commisération. Mais je puis vous assurer que ce logement, quoique fort petit et fort haut, est fort gai, fort agréable, qu’il paraît charmant à tous ceux qui me viennent voir, et que je n’en ai jamais occupé aucun qui fût plus de mon goût. Loin d’avoir à me plaindre de la manière dont je suis actuellement, j’en bénis le Ciel chaque jour davantage ; quand j’aurais cent mille livres de rente, je ne voudrais être ni logé, ni nourri, ni vêtu autrement que je ne suis, et le seul vœu qui me reste à faire à cet égard est d’achever mes jours dans la même situation, sans monter ni descendre ; c’est à peu près celle où je suis né et pour laquelle j’étais fait ; on ne pourrait m’en assigner aucune autre dans laquelle je ne vécusse beaucoup moins heureux.

Je finis ma lettre à la hâte, me réservant de vous écrire plus à mon aise quand j’aurai moins d’embarras. Recevez les tendres salutations de deux cœurs qui vous aiment, et faites-les aussi à tout ce qui vous est cher.


A Madame de Lessert, née Boy de la Tour, à Lyon.


A Paris, le 28 avril 1772.

La joie, chère cousine, que m’a donnée la réception de votre lettre, a été un peu mêlée d’inquiétude sur le sort de celle que j’avais écrite à votre maman quelques jours auparavant ; je crus d’abord qu’elle s’était croisée avec la vôtre, mais continuant à n’y recevoir aucune réponse, je crains qu’elle n’ait eu le sort de plusieurs autres et qu’elle ne soit égarée. J’ai éprouvé depuis longtemps que ma correspondance avec votre maman était sujette à des accidens intermédiaires qui n’avaient pas également

  1. Sic.