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Le commerce du monde vient s’engouffrer dans cet étroit goulot. Cependant les régions qui l’avoisinent et qui ont été le berceau de la civilisation restent une proie encore indivise et que, seules, les armes turques défendent contre les entreprises européennes.

L’Orient méditerranéen, à Constantinople, aux Détroits, dans les îles de l’Archipel, en Asie Mineure, en Syrie, au canal de Suez, en Egypte, pose le grand problème des passages, — passages par terre et passages par mer : route de l’Inde et route du Pacifique.

Que déciderait-on, sur ce sujet, à Berlin ?

Les trois puissances impériales : Russie, Allemagne, Angleterre, sont en présence ; les puissances méditerranéennes : France et Italie, un peu en arrière, surveillent le jeu ; enfin les nationalités naissantes : Grèce, Bulgarie, Roumanie, dans l’attente, prêtes à ramasser les miettes de la table.

L’Angleterre était la plus énergique et la plus allante de toutes. C’était elle qui avait « allumé » les feux. Elle considère la Méditerranée, de par l’importance des chemins de l’Inde, comme sa chose. Elle s’était efforcée de ressaisir la route de terre par la clause reprenant à la Russie les sources de l’Euphrate. Restaient, maintenant, les passages de la mer.

Pour ce qui était de la navigation par les Détroits, on avait essayé, depuis 1856, deux ou trois rédactions différentes qui n’avaient jamais paru satisfaisantes. Les puissances méditerranéennes voudraient, à l’aide de la clef des Détroits, détenue par le Turc, enfermer la Russie dans la Mer-Noire ; la Russie voudrait, par le même procédé appliqué en sens contraire, clore la Mer-Noire aux flottes européennes, tout en laissant la porte ouverte à ses propres navires de guerre. Le Turc voudrait se servir de son avantage pour se faire des alliés ou pour se protéger contre ses adversaires. Intérêts contradictoires qu’aucune formule ne conciliera.

En principe, par les conventions antérieures au Congrès de Berlin, la doctrine qui a prévalu, c’est la clôture des Détroits aux navires de guerre. Cependant, le traité du 30 mars 1856 avait autorisé chacune des puissances à entretenir une flotte en permanence dans la Mer-Noire. Cette convention avait été abolie à Londres, en 1871. Aux préliminaires de San-Stefano, la Russie, poursuivant ce succès, avait déclaré que le Bosphore et