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grande Germanie, » le bénéfice des victoires russes dans les Balkans, s’assurait, pour toujours, de la fidélité de l’Autriche : il dérivait vers le Danube les forces de l’Allemagne du Sud et dégageait ainsi le Nord ; il jetait les bases de la « triple alliance » en démontrant à l’Italie son impuissance et celle des nations occidentales.

Ni l’Angleterre, ni la Russie, ni la France n’avaient su « se retourner » assez promptement en présence du fait nouveau, à savoir la constitution de l’Allemagne impériale. Elles s’étaient attardées sur leurs vieilles querelles, leurs vieilles passions et leurs vieilles idées. La diplomatie anglaise, notamment, avec sa confiance un peu hautaine, s’était laissé prendre au piège si habilement tendu. Elle s’était chargée d’introduire l’Allemagne dans la péninsule et à Constantinople.

Tous les autres actes du Congrès se rattachent à ce nœud.

La Roumanie est proclamée indépendante. Mais, après un débat des plus pénibles pour elle et où elle fut abandonnée de tous, elle doit accepter, volens nolens, la Dobroudja un peu agrandie en échange de la Bessarabie rendue par elle à la Russie. Sur l’insistance de la France, qui, il est vrai, l’avait défendue pour obtenir une meilleure frontière vers la Dobroudja, elle finit par adhérer à une clause du traité qui accorde la nationalité et l’égalité des droits aux israélites de Roumanie[1].

La Russie, comme récompense de ses victoires, ne gagne, en Europe, que la rétrocession de la Bessarabie. Et cela, au prix de la longue inimitié du jeune royaume, allié de la veille et avec lequel elle eût eu tant d’intérêt à entretenir le souvenir de la « confraternité d’armes. »

La Serbie et le Monténégro sont déclarés également indépendans. Ils recueillent aussi quelques avantages territoriaux. Mais la première de ces principautés se voit barrer le chemin de Salonique et elle perd, à peu près, l’espoir d’un développement

  1. Les délégués roumains, MM. Bratiano et Kogalniceano, quoique représentant un État belligérant et victorieux, ne furent pas admis à participer aux travaux du Congrès. Ils furent seulement « entendus » par les représentans des puissances. Ils présentèrent un Mémoire et plaidèrent leur cause avec chaleur, mais on savait d’avance que c’était en pure perte et que les positions étaient prises : un des secrétaires du Congrès, M. le comte de Mouy, écrit : « Je plaignais à part moi les deux délégués roumains en les entendant développer leur argumentation judicieuse et illusoire. Ils avaient, au surplus, l’air fort triste, l’un et l’autre, et n’accomplissaient leur mission que par devoir et sans aucune espérance. » (Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1904.)