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sans attendre l’assentiment de la Sublime Porte… Les préparatifs militaires de cette puissance, les paroles graves du prince de Bismarck, l’autorité de ses conseils, les mots les puissances aviseront à leurs propres intérêts, qu’il avait prononcés en plein Congrès, le procès-verbal déclaré ouvert, les reproches et les menaces de lord Beaconsfield indiquaient surabondamment la gravité de la situation et la nécessité d’y parer le plus tôt possible par un expédient quelconque[1].


L’expédient fut la rédaction d’une clause (11 juillet) destinée à rester secrète, mais sauvant la face de la Turquie et subordonnant l’occupation temporaire, par l’Autriche-Hongrie, de la Bosnie et de l’Herzégovine avec le district de Novi-Bazar, à une entente préalable avec la Turquie[2].

Ce n’étaient que des paroles. La plus belle conquête de toute la campagne était faite par l’Autriche-Hongrie, sans tirer l’épée, sans bourse délier, malgré la Turquie, malgré la Russie, malgré l’Italie. Bismarck pouvait répéter son mot : « Le Congrès, c’est moi[3] ! »

L’influence germanique mettait le pied sur la péninsule des Balkans.

Gortschakoff avait voulu se mesurer avec Bismarck : il était battu. Les longs sacrifices de la politique russe en 1863, en 1866, en 1871, aboutissaient à ce formidable échec. L’Europe, qui se réunissait pour la première fois depuis les succès de l’Allemagne, eût pu demander à celle-ci sinon des comptes, du moins des compensations : au contraire, elle lui ménageait un nouvel accroissement.

Le prince de Bismarck, en ramassant, au profit de « la plus

  1. Souvenirs inédits de Carathéodory pacha.
  2. Voici le texte de cette clause secrète : « Sur le désir exprimé par les plénipotentiaires ottomans au nom de leur gouvernement, les plénipotentiaires austro-hongrois déclarent, au nom du gouvernement de S. M. I. et R. Apostolique, que les droits de souveraineté de S. M. I. le Sultan sur les provinces de Bosnie et d’Herzégovine nu subiront aucune atteinte par le fait de l’occupation dont il est question dans l’article relatif aux dites provinces du traité à signer aujourd’hui ; que l’occupation sera considérée comme provisoire et qu’une entente préalable sur les détails de l’occupation se fera immédiatement après la clôture du Congrès entre les deux gouvernemens.
    « Berlin, le 13 juillet 1878.
    « Andrassy, Karolyi, Haymerlé. »
  3. J. de Witte, Quinze ans d’histoire. Note d’une conversation de l’agent roumain Liteano avec Odo Russell, ambassadeur d’Angleterre, le 26 avril : « Bismarck n’a fait, jusqu’à présent, que des jeux de mots sur la question d’Orient ; il a emprunté le dernier à Louis XIV : « Le Congrès, c’est moi (p. 378). »