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l’occupation. La demande était formulée dans des termes assez vagues. Cependant, aussitôt que le comte Corti eut prononcé ces paroles, le comte Andrassy se tourna d’abord du côté du prince de Bismarck, et puis, regardant le comte Corti dans les yeux : « Monsieur le Plénipotentiaire d’Italie, dit-il, l’Autriche, en occupant la Bosnie et l’Herzégovine, se place au point de vue européen. Je n’ai rien à ajouter. » Cette réponse produisit, sur le comte Corti, un effet extraordinaire. Non seulement il ne répliqua rien dans le moment même, mais plus tard aussi, il n’ouvrit plus la bouche ni lui ni son collègue d’Italie, le comte de Launay, et lorsque, dans la suite, les plénipotentiaires ottomans les supplièrent de proposer que l’occupation n’eût qu’un caractère provisoire, le comte Corti s’y refusa en disant qu’il n’y pouvait rien et qu’il avait été averti que son immixtion serait considérée comme un casus belli[1].


Tout cela, naturellement, ne figure pas aux protocoles.

Lord Beaconsfield compléta ses explications en développant le seul argument fait pour frapper l’opinion publique en Angleterre :


Si le Congrès laissait les provinces dont il s’agit dans l’état où elles se trouvent actuellement, on verrait reparaître la prédominance de la race slave, race qui est peu disposée à faire justice aux autres…


Gortschakoff, engagé depuis Reichstadt, n’avait qu’à boire le calice. Il dit simplement « que la motion anglaise rentrait dans les vues générales de la Russie. »

Les plénipotentiaires ottomans ne pouvaient pas encore se résigner à un tel sacrifice. Ils étaient sans instructions. Ils n’avaient ni cédé, ni rompu ; leur position était affreuse ; ils « tremblaient, » c’est le mot dont ils se servent à diverses reprises pour exprimer leur angoisse.


… Immédiatement après la séance, ils furent fortement attaqués par leurs collègues d’Autriche et d’Angleterre… Lord Beaconsfield ne se contenta plus de conseiller. Il menaçait ouvertement. Il accusait les plénipotentiaires ottomans, ce qui était plus grave, de contrecarrer les projets de l’Angleterre, de la placer dans une position telle qu’elle ne pourrait plus défendre la Turquie ni contre les principautés, ni contre la Grèce…


Il n’y avait pas seulement les menaces de lord Beaconsfield :


Les plénipotentiaires ottomans avaient appris, dès le lendemain de la séance, que le prince de Bismarck suggérait à l’Autriche d’entrer en Bosnie

  1. Souvenirs inédits de Carathéodory pacha. — Voyez le récit émanant, dit-on, du cabinet de M. "Waddington et qui parut dans la Neue freie Presse, du 31 août.