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demander avant de l’avoir reconnu, parce qu’il n’aurait alors aucune autorité pour répondre. Étrange sophisme qui laisse la raison confondue ! Mais les puissances ne l’entendent pas ainsi.

Dès que la démarche allemande a été connue, il y a eu, on nous permettra de le dire, une explosion dans le monde entier. Le gouvernement impérial avait voulu faire appel à l’opinion par l’intermédiaire de la Gazette de l’Allemagne du Nord ; l’opinion lui a répondu avec une netteté, une fermeté, une unanimité qui n’ont pu lui laisser aucun doute sur ses sentimens. — Eh quoi ! a-t-on dit, l’Allemagne se plaint sans cesse que de mauvais génies travaillent à son isolement, pour aboutir à son encerclement ; elle reproduit sur ce thème des variations de plus en plus amères, qui se renouvellent sans fin ; et lorsque l’occasion se présente à elle de marcher avec les autres, elle leur fausse compagnie de la manière la plus brusque, et va prendre loin d’eux une situation qu’elle juge probablement plus favorable à ses intérêts. Ses intérêts sont respectables sans doute, mais les autres ont les leurs qui ne le sont pas moins et qu’ils n’entendent pas sacrifier non plus. Il y a pour les puissances deux manières de veiller à leurs intérêts : ou d’en faire un bloc et de les défendre en commun ; ou d’adopter le principe : Chacun son droit, chacun pour soi. Mais il faut choisir. L’Allemagne veut s’assurer le bénéfice des deux systèmes en même temps, ce qui n’est pas de jeu. Pour fortifier sa situation, elle affaiblit celle de l’Europe. elle agit en mauvaise Européenne. Elle prétend rester dans l’accord des puissances et flirter en tête à tête avec le Maroc. Elle est d’ailleurs coutumière du fait. On se rappelle peut-être que, il y a quelques années, le concert européen s’était formé au sujet des affaires de Crète, l’Allemagne s’en est tout d’un coup retirée : elle voulait ménager le sultan de Constantinople dans l’espoir d’obtenir de lui des avantages privilégiés, qu’elle en a obtenus en effet. Encouragée par ce premier succès, elle recommence la même tactique avec le sultan de Fez ; mais la situation n’est pas la même, et la diversion qu’elle opère est beaucoup plus dangereuse. Si l’Allemagne veut reconnaître Moulaï Hafid seule, qu’elle le fasse, c’est son droit : Moulaï Hafid pourra apprécier alors ce que vaut pour lui la reconnaissance de l’Allemagne isolée. Quant aux autres puissances, et notamment à la France et à l’Espagne, elles sont toutes disposées à reconnaître le nouveau sultan ; seulement, elles y mettent des conditions, et rien ne les fera dévier de la marche prudente qu’elles ont adoptée. Il n’est pas certain du tout qu’une reconnaissance hâtive de Moulaï Hafid contribuerait à l’apaisement intérieur du Maroc ; mais quand même